Qu'il me soit permis de vous parler ici du Manuscrit Regius qui est considéré comme la charte la plus anciennement connue des "francs-mestiers" de bâtisseurs. Il daterait de 1390 et est rédigé en anglais médiéval. Ce manuscrit comprend deux parties bien distinctes.
Une première partie, nous raconte l'histoire du métier de maçon et nous apprend qu' Euclide (-3e siècle), le géomètre d'Alexandrie, est à l'origine de l'ordre des maçons et le patron de cette très ancienne confrérie. Dans cette partie, le préambule, l'auteur se réfère à un vieux parchemin dans lequel on peut lire que cet "Art divin" nommé aussi "Art royal" fut révélé au roi Athelson, souverain d'Angleterre et que celui-ci réunissait maîtres de métiers, seigneurs et notables afin d'établir le statut du métier de maçon.
Le roi Athelson régnait au début du 10e siècle. La réunion dont il est question a très probablement eu lieu à York en 925.[1] On pourrait en conclure que ces statuts datent donc de cette époque-là.
Une deuxième partie contient, étalée sur 15 articles, toutes les prescriptions professionnelles, morales et religieuses relatives au métier de maçon.
Mais ce "vieux parchemin" contient un autre élément dont on parle rarement, notamment, et je cite :
L'histoire des Seigneurs et Dames pauvres en or mais riches en enfants qui tinrent entre eux conseil Afin qu'à leur progéniture un avenir moins malheureux pût épargner le dur effort d'oeuvrer sans but leur vie entière et ne léguer que la misère, à leurs enfants, après leur mort.[2]
Le texte nous dit aussi que les parents décidèrent de confier leurs enfants à "de doctes clercs" afin de les instruire dans "le noble art, le plus beau de tous les métiers : la maçonnerie". Il est très probable que cet art de maçonnerie ait été enseigné par les moines dans les abbayes bénédictines et plus tard dans celles des cisterciens.[3] En plus, lappel lancé aux parents était similaire à la politique suivie par cet empereur chinois, dont nous parle Kafka[4], qui imposa dans les écoles, l'enseignement de l'art de la maçonnerie en vue de la construction de la grande muraille. Ce qui semble confirmer l'existence d'une politique de construction au sein de l'Eglise, c'est que nous assistons à partir de 950 à une véritable explosion d'églises. En l'an mil il existait déjà 1108 églises abbatiales. On en construit 326 au 11e siècle et 702 au 12e siècle[5]. L'appel lancé "aux grands seigneurs et grandes dames" qui avaient beaucoup d'enfants cadre donc très bien avec cette politique de construction en Occident où, à partir de 950, les églises sortent de terre comme des champignons. Même l'arrivée inattendue de Bernard, accompagné d'une trentaine d'amis et de membres de sa famille, pour achever la construction de l'abbaye de Citeaux, est à être interprétée à la lumière de cet appel émanant de l'Eglise.
Je crois même pouvoir avancer que le maître d'oeuvre sera très souvent l'abbé lui-même. Ainsi nous nous souvenons de la statue de Saint-Thibault au portail de son église dans ce petit village bourguignon qui porte le même nom[6], qui, très visiblement ciselé dans son manipule, nous montre le signe du druide : deux triangles formant l'hexagramme, grand symbole du Druidisme[7] et nous pouvons en citer d'autres qui témoignent amplement de la survivance de l'esprit celtique dans les abbayes et auprès des maîtres d'oeuvre.
[1] René Dez : "Manuscrit Regius de 1390". [2] Traduction René Dez : "Manuscrit Regius de 1390". [3] "Durant l'époque romane, l'architecture connaît un immense essor; autour des différentes abbayes se groupent des ateliers de maçons et de tailleurs de pierre. Les moines bénédictins exercent à cet égard une influence incomparable; plus encore, ils tiennent une place décisive dans l'histoire : ils transmettent la tradition". M.M. Davy : "Initiation à la Symbolique romane". [4] Franz Kafka : "Beim Bau der Chinesischen Mauer". [5] Louis Charpentier : "Les Mystères des Templiers". [6] Eglise de St.-Thibault-en-Auxois. [7] Aussi : sceau de Salomon ou Etoile de David. Henri Vincenot dans "Les Etoiles de Compostelle écrit à ce sujet : "deux triangles superposés, dont les sommets sont à direction opposée, représentant l'esprit et la matière, mêlés et équilibrés, ou matière et esprit inséparables; l'hexagramme pouvait aussi représenter l'entrecroisement de l'équerre et du compas, instruments de base des maçons."
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