Inhoud blog
  • Waarom leerlingen steeds slechter presteren op Nederlandse scholen; en grotendeels ook toepasselijk op Vlaams onderwijs!?
  • Waarom leerlingen steeds slechter presteren op Nederlandse scholen; en grotendeels ook toepasselijk op Vlaams onderwijs!?
  • Inspectie in Engeland kiest ander spoor dan in VlaanderenI Klemtoon op kernopdracht i.p.v. 1001 wollige ROK-criteria!
  • Meer lln met ernstige gedragsproblemen in l.o. -Verraste en verontwaardigde beleidsmakers Crevits (CD&V) & Steve Vandenberghe (So.a) ... wassen handen in onschuld en pakken uit met ingrepen die geen oplossing bieden!
  • Schorsing probleemleerlingen in lager onderwijs: verraste en verontwaardigde beleidsmakers wassen handen in onschuld en pakken uit met niet-effective maatregelen
    Zoeken in blog

    Beoordeel dit blog
      Zeer goed
      Goed
      Voldoende
      Nog wat bijwerken
      Nog veel werk aan
     
    Onderwijskrant Vlaanderen
    Vernieuwen: ja, maar in continuïteit!
    15-11-2017
    Klik hier om een link te hebben waarmee u dit artikel later terug kunt lezen.Het aantal kinderen dat op het speciaal onderwijs = ons buitengewoon onderwijs) zit neemt weer toe: "de kinderen worden alsnog zwaar beschadigd naar speciale scholen doorgestuurd."
    1. Het aantal kinderen dat op het speciaal onderwijs = ons buitengewoon onderwijs) zit neemt weer toe: "de kinderen worden alsnog zwaar beschadigd naar speciale scholen doorgestuurd."
    2. Weer meer leerlingen op speciale scholen


    3. Voor het eerst in jaren is het speciaal onderwijs met honderden leerlingen gegroeid. Veel kinderen met ernstige gedragsproblemen hebben te lang zonder juiste begeleiding in gewone klassen gezeten. Nu de boel daar escaleert, worden ze alsnog zwaar beschadigd ...naar speciale scholen doorgestuurd.
    4. Ellen van Gaalen 13-11-17, 06:00

    5. Reguliere scholen proberen kinderen zo lang mogelijk vast te houden, omdat het ze anders geld kost
    6. De afgelopen jaren daalde het aantal leerlingen in het speciaal onderwijs. In het kader van de Wet passend onderwijs moeten meer zorgleerlingen in gewone klassen blijven.
    7. Maar voor het eerst zitten nu ruim 800 kinderen meer dan vorig jaar in het speciaal onderwijs. Dat blijkt uit de voorlopige cijfers van het aantal basisschoolleerlingen die deze krant analyseerde.

    8. Grote zorgen

    9. Speciale scholen maken zich grote zorgen, omdat deze leerlingen nu op latere leeftijd, met heftigere problemen binnenkomen. ,,Reguliere scholen proberen kinderen zo lang mogelijk vast te houden, omdat het ze anders geld kost'', constateert Wim Ludeke, voorzitter van Landelijk Expertisecentrum Speciaal Onderwijs (LESCO) en bestuursvoorzitter bij De Onderwijsspecialisten. ,,Met de beste bedoelingen, maar ze hebben nooit aangegeven waar hun grens ligt. Nu raakt het vat vol.''
    10. Het geld dat reguliere scholen krijgen voor zorgleerlingen gaat niet altijd naar extra hulp voor de kinderen die dat nodig hebben. Volgens de Algemene Vereniging Schoolleiders (AVS) speelt dat een belangrijke rol, omdat scholen sowieso krap bij kas zitten.
    11. Miljoenen euro's minder

    12. Hoewel het ministerie van Onderwijs zegt dat er niet bezuinigd wordt, hebben sommige regio's wel degelijk miljoenen euro's minder te besteden. Daardoor ziet het speciaal onderwijs dat scholen vooral kijken naar de kosten, en niet naar wat de beste plek is voor een kind.
    13. Het ministerie van Onderwijs wil nog geen conclusies trekken. Een woordvoerder zegt dat de cijfers 'zeer voorlopig' zijn en wil pas verder kijken als de definitieve bekend zijn.

    15-11-2017 om 22:24 geschreven door Raf Feys  

    0 1 2 3 4 5 - Gemiddelde waardering: 0/5 - (0 Stemmen)
    Tags:M-decreet
    >> Reageer (0)
    Klik hier om een link te hebben waarmee u dit artikel later terug kunt lezen.Vygotky is geen (socio)-constructivist. Specifiek karakter van schoolse/vakdisciplinaire kennis bij Vygotsky

    Vygotsky is geen (socio-)constructivist!  Specifiek karakter van schoolse/wetenschappelijke kennis. Haaks op visie van Piaget, Bruner, constructivisten ....

    Passages uit Langage et apprentissage chez J. S. Bruner et L. Vygotski, par Alain Firode

    In tijdschrift Skohle,fr; Publié le 8 février 2016

    Le modèle de la langue étrangère (I) : la spécificité de la transmission scolaire des savoirs

    Tournons-nous maintenant vers Vygotski. Ce dernier fait également référence à l’apprentissage de la langue comme modèle pour l’analyse d’autres types d’apprentissage. Cependant, à la différence de ce qu’on vient de voir chez Bruner, il ne s’agit pas de la langue maternelle, mais d’une langue étrangère. Deux caractères propres à l’apprentissage des langues étrangères expliquent plus particulièrement le privilège que lui confère l’analyse vygotskienne.

    Le premier tient à ce qu’on n’apprend pas une langue étrangère comme on apprend sa langue maternelle : l’apprentissage de la langue maternelle, qui se fait par interaction avec l’entourage, va du concret à l’abstrait, du pratique au théorique (du maniement oral de la langue à sa maîtrise écrite) ; celui de la langue étrangère, qui se fait par assimilation de règles, va de l’abstrait au concret, du théorique au pratique (du maniement écrit de la langue à sa maîtrise orale[26]).

    Il en va de même, selon Vygotski, en ce qui concerne la différence entre l’apprentissage de ce qu’il appelle les « concepts spontanés » et celui de ce qu’il appelle les « concepts scientifiques » (ou « académiques ») : « L’assimilation d’un concept scientifique se distingue de celle d’un concept quotidien à peu près comme l’assimilation d’une langue étrangère se distingue de celle de la langue maternelle »[27]. Les concepts dits « scientifiques » désignent les notions dont la signification est dépendante d’un système organisé de connaissances (comme le concept newtonien de force qui se définit par l’égalité de la force au produit de la masse par l’accélération). Ils sont acquis au moyen d’une « définition verbale initiale »[28]. Les concepts dits « quotidiens », quant à eux, désignent les notions dont le sens est « indépendant d’un système déterminé » (comme la notion de « frère » par exemple).

    A la différence des précédents, ils s’acquièrent au moyen d’un processus de type inductif, en s’élevant progressivement « vers des généralisations »[29]. Chacun de ses deux types de concepts, pensé isolément et dans son état initial, présente une « faiblesse » : les concepts scientifiques, au départ, sont abstraits et théoriques ; les concepts quotidiens, quant à eux, ne sont pas maîtrisés de façon logique et volontaire, en sorte qu’ils ne peuvent être utilisés en dehors d’une situation dialogique concrète (l’enfant, par exemple, se montre incapable de définir la notion de « frère » alors qu’il sait en faire usage). Dans le cas d’un concept scientifique nous avons initialement une conscience claire du concept lui-même et de ses caractères logiques et relationnels, mais une conscience confuse de l’objet qu’il désigne (sa référence) ; inversement, dans le cas d’un concept spontané, nous avons une conscience claire de l’objet désigné, mais une conscience confuse du concept lui-même et de ses propriétés logiques. Chacun de ces deux types de concepts, en raison de son insuffisance propre, doit donc « se développer », aussi bien les concepts spontanés que les concepts scientifiques : « Le concept spontané de l’enfant se développe de bas en haut, des propriétés inférieures aux propriétés supérieures, alors que les concepts scientifiques se développent de haut en bas, des propriétés plus complexes et supérieures aux propriétés plus élémentaires et inférieures »[30]. Le concept scientifique, comme dit joliment Vygotski, « germe vers le bas » (vers la sphère de l’expérience concrète) alors que le concept quotidien « germe vers le haut »[31] (vers l’abstrait et le relationnel).

    Il résulte de cette analyse que les deux modes d’apprentissages, celui des concepts spontanés et celui des concepts scientifiques, convergent en quelque sorte l’un vers l’autre sans jamais toutefois pouvoir ni devoir se confondre l’un avec l’autre, se recouper l’un l’autre. L’idée directrice de la théorie vygotskienne est que la formation de l’esprit résulte de la rencontre de ces deux processus indépendants qui doivent se fertiliser en quelque sorte l’un l’autre : d’un côté le processus naturel d’acquisition des connaissances spontanées, qui se fait par induction et interaction avec une situation ; de l’autre le processus culturel d’acquisition des savoirs scientifiques qui se fait par transmission systématique des connaissances.

    Or, comme le souligne Vygotski, il n’y a rapport que s’il y a distinction : « Le lien entre les deux processus et l’immense influence qu’ils exercent l’un sur l’autre sont possibles précisément parce que les uns et les autres concepts suivent dans leur développement des voies différentes »[32]. Les deux peuvent certes être mis en relation (et le but de l’action pédagogique est justement de permettre cette mise en relation) mais ils ne peuvent l’être que si l’on a préalablement reconnu leur indépendance structurelle.

    Vygotski, par conséquent, exclut qu’il soit possible ni même souhaitable d’acquérir un concept scientifique sur le mode inductif et interactif, comme s’il s’agissait d’un concept spontané. La nature des concepts scientifiques est telle, au contraire, qu’ils « apparaissent et se forment dans le processus d’apprentissage scolaire d’une manière tout autre que dans le processus de l’expérience personnelle de l’enfant »[33]. La raison en est que le concept scientifique est « médiatisé par un autre concept et que, par conséquent, en même temps que le rapport à l’objet, il inclut aussi le rapport à l’autre concept, c'est-à-dire les premiers éléments d’un système de concepts »[34]. Parce qu’il n’existe que rapporté à un système symbolique organisé, le concept scientifique requiert un enseignement « systématique » qui « va de pair avec la transmission des connaissances à l’enfant dans un système déterminé »[35].

    Ainsi, quoiqu’il utilise lui aussi le terme de « collaboration »[36] pour désigner la relation maître-élève, Vygotski ne conçoit pas celle-ci à la façon de Bruner. Dans son analyse, l’accent n’est pas mis sur la dimension interpersonnelle du rapport maître-élève, ni sur l’analyse d’un processus de « partage mental », mais sur la forme « systématique » que requiert la transmission des connaissances scolaires.

    Le modèle de la langue étrangère (II) : l’effet psychologique des savoirs structurés

    Il est un deuxième point important (le plus important peut-être) qui se tire de l’analogie entre apprentissage des concepts scientifiques et apprentissage d’une langue étrangère. A savoir l’idée que l’assimilation des concepts scientifiques, qui résultent d’un apprentissage scolaire et systématique, produit en retour un développement de nos connaissances spontanées, acquises quant à elles de façon inductive et interactive (Vygotski cite à cette occasion l’observation de Goethe selon laquelle on ne sait vraiment parler sa propre langue que lorsqu’on a appris une langue étrangère[37]). De même que la maîtrise d’une langue étrangère modifie et approfondit notre perception et notre maîtrise de notre langue natale, de même selon Vygotski l’acquisition scolaire de tel ou tel concept scientifique a une « influence immense » sur nos concepts quotidiens, en ce sens qu’elle augmente la maîtrise que nous en avons en rendant leur maniement « plus conscient et volontaire »[38].

    La fameuse notion vygotskienne de « zone prochaine de développement » (ZPD) se rattache directement à cette idée. Soutenir l’existence d’une ZPD, en effet, revient à soutenir qu’il est un espace logique où les savoirs objectivés présentés selon leur « structure interne, leur logique propre de développement »[39] peuvent modifier et réorganiser les connaissances et les fonctions mentales subjectives de l’élève.  Autrement dit, à soutenir qu’il est une zone où la rencontre avec des savoirs déjà structurés et organisés en système possède un réel pouvoir structurant sur l’esprit, susceptible de modifier notre fonctionnement mental et notre rapport au monde.

    Ainsi comprise, la ZPD désigne donc moins la mesure d’une distance (la distance entre les aptitudes du sujet et telle ou telle connaissance qu’il est en charge d’acquérir) que la mesure d’un pouvoir dynamique, d’une puissance à réaliser des effets, en l’occurrence la puissance des savoirs organisés à produire une réorganisation mentale, à structurer l’esprit du sujet et son rapport au réel. La notion de ZPD, en définitive, désigne le pouvoir du logique sur le psychologique : dire qu’un concept est au-delà ou en deçà de la ZPD d’un élève, c’est dire qu’il ne peut être « développé », c'est-à-dire produire une réforme des modes naturels de penser de l’élève. Un concept qui n’est pas dans la ZPD, par excès ou par défaut, est un concept sans puissance, un concept qui ne produit pas d’effet psychologique.

    Cette théorie de la ZPD conduit Vygotski à envisager l’activité de l’élève d’une façon originale et inédite, fondamentalement différente de celle que proposent les pédagogies ordinairement qualifiées « d’actives » ou les pédagogies qui se réclament, comme celle de Bruner, d’un certain « progressisme » éducatif.

    En plusieurs endroits de son œuvre, en particulier dans Pensée et Langage, Vygotski montre en effet qu’il est nécessaire de requalifier certaines conduites ordinairement jugées « passives » par les partisans des « méthodes actives », c'est-à-dire, d’une manière générale, les attitudes et les conduites qui sont celles du sujet face à un ensemble de connaissances déjà organisées, exposées systématiquement.

    Nous jugeons par exemple que l’élève est passif quand on lui « montre » la solution d’un problème en mathématique. Pourtant, remarque Vygotski montrer la solution, ce n’est pas « donner » la solution, au sens d’un processus où le sujet serait purement réceptif et passif : c’est susciter une activité intelligente, qui « fait avancer ma propre pensée »[40] et, dans certaines conditions que déterminent justement la notion de ZPD, produit une transformation profonde de mes schémas naturels de pensée.

    Ces conduites apparemment passives mais en fait actives, appartiennent à la catégorie générale que Vygotski désigne par le terme d’imitation : « L’imitation, si on l’entend dans son sens large, est la forme principale sous laquelle s’exerce l’influence de l’apprentissage sur le développement et c’est là aussi précisément le contenu de la ZPD »[41].

    Comme l’indique Vygotski, la notion d’imitation dans cette citation doit être prise « au sens large ».  Par quoi il faut comprendre qu’elle n’est pas relative à la conduite gestuelle : on peut certes imiter un geste ou un mouvement mais aussi imiter une pensée (en reproduisant mentalement un discours, comme lorsqu’on « suit » un exposé, une démonstration faite par un professeur). Bref, la ZPD d’un sujet désigne l’ensemble des connaissances déjà structurées qu’il peut reproduire de façon active et créatrice, de telle façon que cette reproduction ne soit pas une activité mécanique (une simple « copie ») sans effet sur son développement ni ses concepts spontanés (comme c’est au contraire le cas pour l’imitation animale : un animal copie, singe mais n’imite pas). Le fait de posséder une ZPD, d’être capable d’apprendre par imitation, constitue pour Vygotski la propriété primitive du sujet humain,  celle dont découlent les caractères spécifiques de la psychè humaine[42].

    On voit, par conséquent, que Bruner, et à sa suite les pédagogues qu’il a inspirés, ont détourné la signification originale et vygotskienne de la notion de ZPD. La conception qu’en proposent le plus souvent les ouvrages pédagogiques contemporains est biaisée : comme chez Bruner, ceux-ci font de la ZPD le lieu de la rencontre entre deux consciences, l’espace théorique où un « prêt de conscience » est possible, aboutissant à la formation d’un « microcosme partagé » (toutes ces expressions sont de Bruner). Les textes de Vygotski disent pourtant tout autre chose. Ils ne font jamais référence à l’idée, au fond très subjectiviste et même personnaliste, d’un quelconque partage ou communauté / communion d’esprits, mais seulement à l’idée qu’il est un certain espace théorique où l’écart entre les connaissances subjectives de l’élève et les connaissances objectives qui lui sont présentées autorise un processus d’imitation créative (écart en-deçà et au-delà duquel celle-ci n’est pas possible). Nous serions tentés de dire, pour utiliser un vocabulaire poppérien, que la ZPD désigne en définitive l’espace où l’esprit, comme dit Popper, peut « interagir avec des objets du troisième monde »[43], c'est-à-dire interagir avec les connaissances objectives déposées dans des supports symboliques.

    Vygotski est-il « socioconstructiviste » ? NON!

    On est en droit de se demander, au vu des analyses précédentes, si Vygotski peut légitimement être compté aux cotés de Bruner, comme cela est très fréquemment le cas chez les pédagogues contemporains, parmi les pères fondateurs du courant de pensée dit « socioconstructiviste ».

    Epistémologie réaliste vs épistémologie constructiviste

    Remarquons, en premier lieu, qu’il est au moins une forme de constructivisme que rejette explicitement Vygotski, à savoir ce qu’on peut appeler le constructivisme philosophique ou épistémologique, c'est-à-dire la thèse selon laquelle la connaissance est un processus de construction de la réalité. L’épistémologie vygotskienne, en effet, est décidément réaliste. Pour Vygotski, la fonction « fondamentale de la pensée est de connaitre et de refléter la réalité »[44]. Ce reflet et cette connaissance du réel supposent certes la médiation de théories, de systèmes symboliques qui sont des constructions de l’esprit mais la réalité même n’est pas une construction mentale. Chez Vygotski l’activité scientifique ne consiste pas à construire une réalité à la mesure de l’homme, mais à construire des théories scientifiques, des objets symboliques qui sont censés viser et atteindre la réalité en soi. Il en va tout autrement chez Bruner. La connaissance pour ce dernier est une entreprise destinée à construire, comme dit N. Goodman, une « version habitable » et « partageable » du monde, et non une tentative pour connaître une quelconque réalité préexistante.

    Ce ne sont donc pas seulement les théories, les outils cognitifs qui sont des constructions de l’esprit, comme chez Vygotski, mais la réalité elle-même. Sur ce point la divergence est totale : l’épistémologie brunérienne débouche sur cette forme d’idéalisme intersubjectif que Vygotski quant à lui rejette avec la plus grande fermeté. L’auteur de Pensée et langage s’oppose à toutes les théories, comme celle de Mach à son époque, qui postulent que « le monde physique c’est l’expérience socialement concertée, socialement harmonisée, en un mot, l’expérience socialement organisée »[45]. L’objectivité, pour Vygotski, ne se réduit aucunement à l’intersubjectivité[46].

    La nature du social : intersubjectivité ou objectivité ?

    Il est encore, outre ceci, un deuxième point qui, nous semble-t-il, devrait inciter à ne pas rattacher Vygotski au « socioconstructivisme ». A savoir la conception même qu’il propose du social et de son rôle dans la formation de l’esprit.  

    On ne remarque pas suffisamment, en effet, que Vygotski a explicitement critiqué, chez Piaget, une conception du social et de son rôle dans le développement mental de l’enfant qui, par certains côtés, annonce celle que proposeront plus tard Bruner et les auteurs se réclamant du socioconstructivisme. Contrairement à ce qu’on prétend souvent, en effet, Piaget n’a nullement négligé le rôle du social dans le développement mental de l’enfant[47]. Parce qu’il suppose que l'enfant n’est pas initialement en contact avec le réel, le psychologue suisse ne peut expliquer l’évolution progressive de sa pensée vers la pensée logique et objective de l’adulte que par la rencontre avec la pensée d’autrui, autrement dit avec le monde social compris comme univers intersubjectif. Ainsi Piaget, au moins dans la première partie de sa carrière de psychologue (la seule que connaisse Vygotski), voit-il dans la communication des consciences l’unique source du développement de la pensée logique : « Sans les autres, les déceptions de l’expérience ne nous mèneraient qu’à la surcompensation d’imagination et au délire »[48]. C’est uniquement le besoin social de partager la pensée des autres et de communiquer qui est à l’origine du besoin de preuve, de logique : la preuve, comme dit Piaget, « est née de la discussion »[49].

    Ces thèses, qui font de la discussion et du conflit avec autrui (ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le conflit « sociocognitif ») le principe de l’accès à la pensée rationnelle et logique, sont explicitement et fermement critiquées par Vygotski. Elles débouchent immanquablement selon lui sur une épistémologie qui réduit l’objectivité à l’intersubjectivité, épistémologie qu’il condamne, nous venons le voir, résolument. Aussi Vygotski rejette-t-il toutes les théories qui prétendent, comme celle de Piaget, « déduire la pensée logique de l’enfant et son développement de la pure communication des consciences »[50]. Le reproche qu’il adresse à ces théorie du développement, n’est pas d’avoir « oublié » le social, mais de ne pas en avoir compris la vraie nature, d’avoir tenu pour équivalente la rencontre avec les autres et la rencontre avec la réalité sociale. Autrement dit d’avoir identifié le social à l’intersubjectif, à l’ensemble des consciences en communication les unes avec les autres. Or pour Vygotski, justement, le social n’est pas l’intersubjectif, mais une réalité objective et institutionnelle, celle des œuvres de l’esprit objectivées, les théories et les systèmes détachés des sujets qui les ont produites. La médiation qui fait accéder à l’objectivité n’est pas celle des autres consciences, mais celle des instruments, des « outils de la pensée », des produits sociaux objectivés dans la culture grâce auxquels j’agis sur le monde réel, à la fois sur la réalité matérielle, sur les autres et sur moi-même (le langage et plus particulièrement les savoirs organisés, les théories : ce que Popper appellera, quelques années plus tard, le « monde 3 »). La confrontation réellement formatrice, pour Vygotski, est celle de l’esprit et de ses œuvres, pas celles des esprits entre eux.

    Qu’en est-il à cet égard chez Bruner ? Quelle conception ce dernier se fait-il du social ? Bien qu’il parle souvent des réalités sociales telles que le langage, les institutions, la culture, les savoirs, les produits symboliques etc. en termes objectivistes (au point de se référer à plusieurs reprises à la théorie poppérienne du « monde 3 »), il semble que ces réalités ne soient jamais envisagées par Bruner comme étant douées d’une véritable autonomie par rapport aux sujets qui s’y rapportent[51]. Rencontrer un objet symbolique quelconque, pour Bruner, c’est toujours au final rencontrer quelqu’un, une personne ou un ensemble de personnes, un sujet individuel ou collectif : comme il le dit lui-même à propos du principe d’Archimède, découvrir ce dernier, c’est dialoguer avec Archimède (« avoir Archimède comme compagnon de jeu »[52]) et dialoguer en même temps avec d’autres sujets de ses interprétations possibles. La relation du sujet au social, à la culture et au monde symbolique, se résout toujours chez Bruner en relations de type subjectif et intersubjectif, de l’ordre de la « négociation », pour reprendre le vocabulaire brunérien. Bref, nous ne sommes jamais en relation qu’avec d’autres personnes, jamais à proprement parler avec des œuvres ni avec des institutions. Telle est la conception finalement très subjectiviste du « social » que présupposent la psychologie brunérienne et le courant pédagogique qu’il a inspiré, ce qu’il est convenu d’appeler le « socioconstructivisme ». S’il est juste de dire que le « socioconstructivisme » a réintroduit la considération d’autrui dans l’analyse du processus d’apprentissage (cf. le fameux slogan « on n’apprend pas seul »), on hésitera en revanche à dire qu’il a réellement pris en compte l’existence du social, dans la mesure où la réalité sociale, comme l’ont bien vu des auteurs comme Vygotski ou Popper, possède une dimension objective qui interdit d’y voir un simple ensemble de sujets en interaction.

    Le rôle des systèmes de connaissances

    Il est enfin, outre ce qui vient d’être dit, une troisième et dernière raison de ne pas compter Vygotski parmi les représentants du « socioconstructivisme ». Celle-ci tient au rôle décisif que jouent, chez Vygotski, les systèmes logiques, les savoirs organisés et structurés dans la formation de l’esprit.

    Nous avons vu, tout à l’heure, que le caractère syncrétique et illogique de la pensée enfantine, pour Vygotski, ne peut s’expliquer par l’hypothèse piagétienne et freudienne, à ses yeux fausse, selon laquelle l’enfant ignorerait primitivement le « principe de réalité ». La vraie cause de l’illogisme enfantin  doit être cherchée ailleurs. Elle réside pour Vygotski dans le fait que les concepts formés spontanément par l’enfant ne sont pas organisés en système, de telle sorte que la pensée de l’enfant se concentre exclusivement sur la relation du concept à l’objet qu’il désigne (sa référence empirique) sans jamais se tourner vers la relation logique du concept à d’autres concepts. A cet égard, dit Vygotski, le « fait central est l’absence ou l’existence d’un système »[53]. Dès lors qu’il n’y a pas de système, en effet, les seuls liens possibles étant ceux du concept et de l’objet (et non ceux du concept à d’autres concepts), la pensée est entièrement soumise aux liaisons perceptives et mémorielles, d’où son caractère syncrétique. Les relations logiques (implication, contradiction etc.) ne sont pas pour Vygotski des propriétés empiriques appartenant aux choses elles-mêmes ni aux perceptions, mais uniquement celles des concepts organisés en système. Si l’enfant, à la différence de l’adulte, peut soutenir sans ressentir de difficulté deux thèses apparemment contradictoires au sujet du même objet, c’est que ces deux thèses, dans son esprit, correspondent chacune à une perception déterminée de cet objet et qu’entre deux perceptions il n’y a pas de relation logique, mais seulement entre deux concepts que l’on peut subsumer sous une notion plus générale. Il importe de noter que Vygotski (proche en cela d’auteurs de son époque comme Frege ou Husserl) situe l’origine des normes logiques dans les objets symboliques, dans ce que Popper appellera un peu plus tard le « monde 3 ». L’apparition de la rationalité chez le sujet, le développement de son aptitude à régler logiquement sa pensée, sont analysés comme une sorte d’« effet rétroactif » (pour reprendre une expression poppérienne) des produits symboliques sur la conscience. C’est parce qu’il y a des systèmes symboliques organisés, des « objets du monde 3 » comme dira Popper, que le sujet peut, en étant mis à leur contact et en les assimilant, soumettre progressivement sa pensée à des normes logiques qui lui imposent une régulation mentale, faisant ainsi peu à peu naître en lui ce qu’il est convenu d’appeler une raison, une pensée « rationnelle », réfléchie et volontaire[54].

    Chez Vygotski, ce n’est donc pas la « culture » au sens large qui « donne forme à l’esprit », comme chez Bruner[55], mais la rencontre avec des ensembles structurés de connaissances, des savoirs exposés scolairement et méthodiquement, en fonction de leur logique interne (ce que Vygotski appelle, en reprenant un terme de Herbart, des « disciplines formelles »[56]). La psychologie vygotskienne, contrairement à ce qu’on affirme souvent, ne débouche pas sur une théorie simplement  « historiciste » de l’esprit : à proprement parler Vygotski ne dit pas que le fonctionnement de notre esprit serait implicitement et involontairement façonné par des cadres mentaux relatifs à telle ou telle époque ou telle ou telle société, mais qu’il est structuré par l’assimilation scolaire, explicite etvolontaire, de systèmes de connaissance organisés. Autrement dit, la psychologie de Vygotski ne propose pas une théorie de la dépendance de la pensée à l’égard de la « culture » en général mais une théorie de sa dépendance à l’égard des savoirs, des connaissances objectives scolairement transmises.

    Sujet « enseigné » et sujet « apprenant »

    Cette thèse selon laquelle l’assimilation des savoirs structurés précède et conditionne la formation de la pensée rationnelle dans le sujet, rompt de façon radicale avec l’un des présupposés les plus fondamentaux du constructivisme piagétien. A savoir avec l’idée que le développement et l’apprentissage sont des modalités de l’adaptation biologique et qu’ils doivent être analysés comme des moyens de produire un équilibre mental entre le sujet et son milieu. Le développement ni l’apprentissage, chez Vygotski, ne proviennent de ce que j’ajuste ma pensée pour répondre, au moyen d’un processus de « rééquilibration majorante » (Piaget), aux déséquilibres produits par le milieu extérieur, que ce milieu soit physique ou qu’il soit social, qu’il soit constitué de choses ou de personnes. Ce n’est pas dans le conflit - qu’il soit « cognitif » ou « sociocognitif » - que réside le moteur du perfectionnement de l’esprit humain, mais dans l’assimilation de produits symboliques objectifs, de connaissances déjà structurées et organisées en systèmes. Bref, le mode proprement humain d’apprentissage et de développement pour Vygotski est en rupture structurelle avec le mécanisme biologique d’adaptation. Autrement dit le sujet humain est un sujet enseigné. Il apprend par assimilation de connaissances déjà organisées et non par interaction spontanée avec un milieu (physique ou intersubjectif, constitué d’objets matériels ou de personnes, peu importe). Ce qui implique, pédagogiquement parlant, le rejet de toutes les méthodes qui se proposent en quelque façon de « naturaliser » les apprentissages, de transformer le sujet enseigné en sujet, comme on dit, « apprenant », s’instruisant en interagissant avec une « situation ». Ces méthodes qui recommandent que l’élève soit systématiquement placé en position de producteur des connaissances, soit individuellement soit collectivement, commettent une erreur de principe : les systèmes et les théories, si l’on suit l’analyse vygotskienne, ne sont pas une production du sujet (individuel ou collectif) : c’est à l’inverse le sujet qui est une production des savoirs organisés. La rupture avec Piaget, on le voit, va bien au-delà d’une simple inversion de parcours, comme si tout l’apport de Vygotski avait consisté à aller, comme on dit, « du social à l’individuel » au lieu d’aller, comme Piaget, « de l’individuel au social ». C’est la base même du constructivisme piagétien, son naturalisme et son subjectivisme, que sape l’analyse vygotskienne.

    On rechercherait en vain chez Bruner et les auteurs qui se réclament actuellement du « socioconstructivisme » cette idée d’une antériorité structurelle des savoirs systématiques sur la pensée du sujet connaissant. Comme Piaget, Bruner conçoit la formation de l’esprit à la façon d’un processus naturel d’adaptation (d’équilibration) au cours duquel l’enfant procède à un ajustement de ses structures mentales et de ses croyances afin de les rendre compatibles avec les perturbations issues du milieu. L’originalité de ses analyses vient de ce que ce milieu, pour Bruner, est essentiellement constitué d’autres sujets, le propre de l’homme étant d’être directement en relation avec ses semblables et de façon seulement indirecte en relation avec les choses. Mais, contrairement à Vygotski, il ne remet pas en cause l’idée que le développement et l’apprentissage résultent d’un processus d’adaptation par équilibration avec un milieu, avec une situation. Il n’introduit pas l’idée, centrale chez Vygotski, qu’il résulte non d’une interaction avec des choses ou des personnes, mais d’une assimilation de systèmes symboliques constitués, d’une rencontre avec ce que Popper appelle la « connaissance objective ». En quoi, la psychologie de Bruner reste bien un « constructivisme », au sens à la fois épistémologique et éducatif du terme, ce qu’on peut appeler, si l’on veut, un « socioconstructivisme », à condition de tenir pour équivalent le social et l’intersubjectif (au risque, nous l’avons vu, de négliger la dimension objective et institutionnelle du social : le terme de « constructivisme intersubjectif », pour cette raison, serait sans doute plus approprié pour désigner le courant de pensée actuellement dominant dans les recherches en sciences de l’éducation).

    Conclusion

    On se demandera sans doute, pour finir, comment un psychologue aussi avisé que J. Bruner a pu ne pas apercevoir les divergences profondes (entre sa propre pensée et celle de Vygotski) qui viennent d’être mises en évidence. Sans entrer ici dans la discussion de ce problème essentiellement historique, nous signalerons cependant que les travaux récents concernant la diffusion et la réception des thèses vygotskiennes lui apportent un début de réponse. Il semble en effet, comme l’ont montré F. Yvon et L. Chaïguerova[57], que les « malentendus » auxquels la lecture de l’œuvre de Vygotski a donné lieu auprès des penseurs occidentaux comme Bruner aient leur origine en URSS, dans l’interprétation que les disciples déclarés de Vygotski (Léontiev, Luria, Elkonine) proposent de son œuvre. Parce que ces derniers sont partisans d’une théorie de l’apprentissage (développée par l’école dite « de Kharkov ») centrée, comme celle de Piaget, sur l’idée d’activité autonome du sujet apprenant, leur prise en charge de l’héritage vygotskien ne pouvait aller sans faire subir à celui-ci certaines distorsions significatives. Il importe particulièrement, à cet égard, de remarquer que les textes primitivement traduits en anglais et rassemblés sous le titre Mind and Society (1978), qui ont été sélectionnés par Luria, ne donnent pas une image exacte de la pensée de Vygotski, mais en révèlent prioritairement les aspects que l’éditeur a jugés compatibles avec la théorie de l’apprentissage comme activité prônée par les théoriciens de l’école de Kharkov. On s’explique par là, au moins en partie, que Bruner n’ait pas éprouvé de difficultés à proposer une lecture des thèses vygotskiennes qui passe à côté de leurs implications critiques à l’égard du progressisme pédagogique : le terrain avait en quelque sorte été préparé par les héritiers officiels du psychologue.

    L’essentiel, quoi qu’il en soit, est d’apprendre à lire Vygotski sans présumer de l’interprétation socioconstructiviste de ses thèses, ni appréhender celles-ci à travers un prisme brunérien, comme c’est souvent le cas dans la littérature pédagogique actuelle. Nous l’avons en effet constaté tout au long des analyses qui précèdent : on ne peut rapprocher la pensée de Vygotski de celle de Bruner sans manquer la radicalité de sa rupture avec la théorie piagétienne de l’apprentissage et du développement ni donc, aussi, sans manquer l’originalité et la force de son apport à la psychologie et à l’histoire des idées pédagogiques. Parce qu’elles rompent avec quelques-uns des principes fondateurs de la théorie piagétienne (particulièrement avec sa conception idéaliste et subjectiviste du social) les thèses de Pensée et langage sapent les bases mêmes du constructivisme piagétien. Contrairement à celles de Bruner, qui restent en définitive tributaires de ces dernières, elles n’en constituent nullement une version aménagée destinée à intégrer la considération du social sans sortir du cadre constructiviste. Il ne s’agit pas, autrement dit, ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui un « socioconstructivisme ».

     

    Alain Firode (Université d’Artois, EA 4520)

    15-11-2017 om 21:05 geschreven door Raf Feys  

    0 1 2 3 4 5 - Gemiddelde waardering: 0/5 - (0 Stemmen)
    Tags:constructivisme, Vygotsky
    >> Reageer (0)
    Klik hier om een link te hebben waarmee u dit artikel later terug kunt lezen.Gevaren verbonden met filpped-classroom-praktijk
    Gevaren verbonden aan flipped classroom

    La pédagogie inversée : une pédagogie archaïque, par Alain Beitone et Margaux Osenda

    Version imprimable

    Julien Vignikin - Croix I (2010) - toile marouflée sur bois, 100x100

     

    Introduction

    Nous avons un point d’accord au moins avec les thuriféraires de la pédagogie inversée : cette « innovation pédagogique » rencontre un succès fulgurant. On connait la trajectoire habituelle des dites « innovations » : elles partent des Etats-Unis, passent ensuite par le Québec, puis de là en Belgique et enfin en France (avec parfois une étape Suisse). Selon les cas étudiés cette migration géographique et linguistique demande plus ou moins de temps. S’agissant de la « pédagogie inversée » elle a été très rapide. En France, la caution institutionnelle de cette innovation est impressionnante. Le site Eduscol du Ministère et les sites académiques des rectorats regorgent de dossiers, de ressources vidéo et de récits d’expérience sur la « classe inversée ». Lorsque l’association « Inversons la classe » (à peine née) lance son premier congrès en 2015, elle bénéficie de l’appui et de la présence de Florence Robine (Directrice générale de l’enseignement scolaire) et de Catherine Becchetti-Bizot (Directrice du numérique éducatif)[1]. Canopé (l’éditeur officiel de l’éducation nationale) n’est pas en reste et certains IPR deviennent des promoteurs actifs de l’inversion de la classe dans diverses disciplines. Dans certaines académies des professeurs obtiennent des décharges pour produire des « capsules vidéo » et les très rares moyens de la formation continue des enseignants sont en partie consacrés à l’évangélisation des professeurs qu’il convient de convertir sans délai à l’inversion de la pédagogie. Comment expliquer cette mobilisation institutionnelle en faveur d’une innovation qui, c’est le moins que l’on puisse dire, n’a pas fait la preuve de son efficacité pédagogique et didactique ? La réponse est assez simple : l’un des axes de la « loi sur la refondation de l’Ecole » est formulé ainsi : « L’école change avec le numérique ». Dès lors, tout ce qui permet de favoriser le recours au numérique (TICE) sera soutenu par le ministère. Il se trouve que cette idée enthousiasme aussi les vendeurs d’ordinateurs et autres « tablettes numériques » et que les élus locaux qui dotent les écoles, les collèges et les lycées, de matériel informatique sont tout heureux qu’on les utilise en inversant la classe. Enfin, les partisans habituels de la doxa éducative se sont convertis très vite à la pédagogie inversée en soulignant qu’au fond il s’agit d’une utilisation de leurs idées fort anciennes : l’élève au centre, le refus de la « pédagogie descendante », le travail de groupe, la « co-construction » du savoir, etc. On a donc là une puissante coalition d’intérêts qui permet d’expliquer le succès de la pédagogie inversée.

    Mais deux questions ne sont pratiquement jamais posées :

    1/ Qu’est-ce qui est enseigné aux élèves ? En effet si on admet que l’école a pour mission de permettre aux élèves de s’approprier un certain nombre de savoirs, il convient de se demander quels sont les savoirs transmis par les « capsules vidéos».

    2/ Cette méthode d’enseignement est-elle efficace ? Les élèves, grâce à cette innovation pédagogique, apprennent ils plus et mieux et, surtout, l’enseignement est-il moins inégalitaire ?

    On ne peut qu’être frappé par le fait qu’il existe très peu de travaux tentant de répondre à ces questions (Bissonnette et Gauthier, 2012). Certes, beaucoup de textes militants rédigés par des partisans enthousiastes de la pédagogie inversée circulent, mais ils ne reposent pas sur la posture de distanciation critique qui nous semble nécessaire si l’on veut évaluer les effets d’une méthode d’enseignement.

    Dans ce texte nous avons deux objectifs. Le premier consiste à synthétiser la façon dont les partisans de la classe inversée présentent leur méthode et à poser un certain nombre de questions sur l’innovation ainsi proposée. Le second consiste à étudier neuf « capsules vidéo» consacrées à l’enseignement des sciences économiques et sociales (voir la liste des vidéos en annexe). Ce choix de vidéos de notre discipline s’explique par une raison que les défenseurs de la pédagogie inversée contesteront sans doute : nous pensons que l’on ne peut analyser les contenus de savoir de ces vidéos que si l’on connait un minimum les savoirs de référence. Les savoirs comptent !!! Cependant ce choix n’est pas trop restrictif dans la mesure où, parmi les cinq initiateurs du premier congrès CLIC[2] on trouve deux professeurs de SES qui jouent un rôle très actif dans la promotion de la classe inversée en SES (N. Olivier et Ch. Viscogliosi).

    I. Qu’est-ce que la pédagogie inversée ?

    I.1. Un conte de fée pédagogique

    La pédagogie inversée repose sur une opération de storytelling. Plusieurs histoires sont racontées, la première fait référence à Eric Mazur (professeur de physique à Harvard) « qui demande à ses étudiants de lire son ouvrage de référence et ses notes de cours en amont pour consacrer ses enseignements aux difficultés exprimées par les étudiants, à des approfondissements et à différents exercices » (Lebrun et Lecoq, 2015, p. 15). Eric Mazur publie en 1997 un ouvrage consacré à l’instruction par les pairs[3]. Cela permet de faire remonter assez loin la « classe inversée ». En réalité, la méthode consistant à adopter un « textbook » dont les étudiants doivent lire les chapitres préalablement au cours est très largement utilisée (notamment aux Etats-Unis mais pas seulement). C’est ce qui explique les ventes spectaculaires des manuels de science économique dont « L’Economique » de Samuelson a été le précurseur. Plus près de nous, des manuels de Krugman, Stiglitz ou Mankiw jouent le même rôle, dans un contexte plus concurrentiel. De très nombreux professeurs adoptent l’un ou l’autre de ces manuels et le suivent scrupuleusement avec leurs étudiants qui doivent lire les chapitres avant le cours. Les séances collectives en amphithéâtre servent à répondre aux questions, revenir sur des points délicats, aider les étudiants qui n’ont pas pu résoudre les exercices qui figurent en annexe des différents chapitres. On ne voit donc pas quelle est l’originalité d’E. Mazur et, s’il s’agit bien de « classe inversée », on peut constater qu’il ne s’agit pas d’une innovation, mais d’une pratique fort ancienne.

    La seconde histoire concerne Jon Bergmann et Aaron Sams. Soucieux de « motiver » leurs élèves ils produisent de courtes vidéos à visionner avant le cours. On leur attribue généralement la formule « Lectures at Home and HomeWork in Class ». Ils ont été primés pour leurs efforts pédagogiques, ont créé un site et un réseau consacrés à la classe inversée.

    L’histoire qui a le plus de succès concerne Salman Kahn. Américain d’origine indienne, il bénéficie d’une formation scientifique au MIT (mathématique notamment) qui le conduit à travailler…dans la finance. Il est contacté en 2004 par une jeune cousine qui a des difficultés importantes en mathématiques. Salman Kahn va donc concevoir des vidéos pour expliquer différentes questions mathématiques à sa cousine de la façon la plus concrète possible. Il découvre que ses vidéos ont un succès croissant sur internet et en 2009 il quitte son emploi dans la finance pour se consacrer à temps plein à la « Kahn Academy ». Cela est rendu possible par des soutiens financiers très important (de la fondation Bill Gates notamment). D’après Wikipédia l’objectif est de faire de la Kahn Academy une « Charter school » en ligne[4]. La lettre d’information Educpros publie en 2013 un compte rendu[5] du livre de Salman Kahn intitulé « L’éducation réinventée »[6]. Educpros retient dix idées clés de l’auteur parmi lesquelles « rendre les élèves acteurs », « Promouvoir la transdisciplinarité » », « Considérer l’enseignant comme un entraîneur sportif ». Rien de bien nouveau sous le soleil, il s’agit là d’éléments très répandus de la doxa pédagogique.

    On est bien en présence d’un storytelling, les mêmes histoires sont racontées, presque à l’identique, dans les différentes publications qui visent à promouvoir la classe inversée. Curieusement, en dehors des convictions des héros des histoires, nous n’apprenons rien de substantiel sur cette méthode, ses fondements, ses résultats.

    I.2. Pédagogie inversée ? Mais de quoi s’agit-il ?

    Nous considérerons comme synonymes les expressions « pédagogie inversée », « classe inversée » et « Flipped Classroom ». Les présentations de cette démarche sont nombreuses et très semblables. Par exemple : « La classe inversée – flipped classroom selon sa désignation anglo-saxonne – est une approche éducative apparue aux États-Unis à la fin des années 1990, pour laquelle la leçon est librement accessible sous format numérique (très souvent vidéogramme en ligne mais aussi diaporama, site web, etc.) ou sous format littéral (livre de classe, polycopié, etc.), à charge aux élèves de la travailler – phase d’acquisition – en amont, hors de la classe. Le temps de présence en classe, est mis à profit, quant à lui, pour des exercices applicatifs et des phases dialoguées explicatives d’une part entre élèves et d’autre part, entre élèves et professeur » (Faillet, 2014, p. 652). Voilà donc en quoi réside l’inversion : le temps passé en classe par le professeur et les élèves, au lieu d’être utilisé à un « exposé du savoir » par le professeur est consacré à des activités coopératives entre professeur et élèves (d’où une dimension d’instruction par les pairs). Marcel Lebrun, dans une vidéo du site Canopé[7], distingue la pédagogie traditionnelle où on enseigne en présentiel et on apprend à distance et la pédagogie inversée où on enseigne à distance et où on apprend en présentiel. Dans ce qui est appelé « approche traditionnelle » on suppose donc que le professeur enseigne en présence d’élèves qui n’apprennent pas (ne s’approprient pas les connaissances), cet élément essentiel étant renvoyé au travail à la maison dans le cadre duquel les élèves ont seuls la charge de l’appropriation des savoirs. Sur la base d’une présentation aussi caricaturale de la « pédagogie traditionnelle », la classe inversée apparait comme une révolution copernicienne : il s’agit de faire apprendre les élèves en présentiel ! Tout l’argument repose donc sur la véracité de la présentation de la pédagogie traditionnelle. Mais sur la base de quelle enquête cette description est-elle construite ? E. Mazur affirme que l’université aujourd’hui fonctionne encore comme au Moyen-Age. Une telle formulation est-elle justifiée ? S’agissant des lycées, au XIXe siècle il y avait des répétiteurs qui organisaient les apprentissages des élèves pendant les longues heures d’étude à l’internat. Les enfants de la bourgeoisie et de la noblesse bénéficiaient parfois de précepteurs qui ne se contentaient pas d’un exposé magistral des savoirs visés. De quelle « pédagogie traditionnelle » parle-t-on ? Il faudrait démontrer que beaucoup de professeurs (la majorité ?, la totalité ?) dispensent un enseignement ex-cathedra et se désintéressent des apprentissages de leurs élèves. Pas le moindre élément de démonstration de cette thèse ne figure dans les textes des promoteurs de la pédagogie inversée[8].

    Outre cette opposition quelque peu mythifiée entre « pédagogie traditionnelle » et « pédagogie inversée », les discours en faveur de la classe inversée oublient de préciser si l’efficacité de la « classe inversée » est la même dans tous les contextes éducatifs. Nous n’avons pas trouvé jusqu’ici de proposition de « classe inversée » pour l’école maternelle !! Mais, au-delà de ce cas limite, est-ce la même chose de pratiquer la classe inversée à Harvard ou dans une université moins sélective? Au niveau du lycée ? Du collège ? De l’école élémentaire ? Dans n’importe quel séminaire de doctorat on prend connaissance à l’avance des « papiers » qui seront mis en discussion, c’est indiscutablement formateur pour les jeunes doctorants, surtout si on leur demande d’être « discutant » de l’un des textes examinés. Mais peut-on exiger la même démarche d’un élève de collège ou de lycée ?

    Pour les promoteurs de la pédagogie inversée, ces questions sont sans doute trop triviales. Il leur suffit de présenter une opposition binaire entre la tradition (magistrale, transmissive où l’élève est passif) et l’innovation incarnée par l’inversion de la pédagogie. Une vidéo du site Canopé[9] présente des extraits d’entretiens avec sept enseignants de diverses disciplines (histoire-géo, SES, maths, éducation musicale, SVT). On peut repérer une distinction très nette du vocabulaire utilisé. La « pédagogie traditionnelle » est associée à des termes ou expressions clairement péjoratifs (pour ceux qui les utilisent) : « cours facial », « cours descendant », « élèves passifs », « empilement des connaissances », « simple transmission des connaissances », « bourrage de crâne », « savoirs ». La pédagogie inversée est associée à « ludification », « élèves actifs », « apprentissage par compétence », « savoir-faire », « enseignement à la carte », « individualisation », « approche qualitative », « travailler sur les savoirs-faire plutôt que sur les savoirs », « dimension transversale ».

    Au fond, la méthode de la classe inversée est très simple et sans doute, dans certaines conditions, très utile. On demande aux élèves/étudiants de travailler d’abord une question, puis on consacre le temps de classe à des explications du professeur, à des exercices, à de la coopération entre élèves. Toute la question est de savoir quelle est la démarche effectivement mise en œuvre. Ce qui caractérise la classe inversée, c’est que le savoir est présenté ex abrupto, de façon magistrale et, comme nous le verrons plus loin, les activités préparatoires demandées aux élèves se limitent à reproduire le contenu de la vidéo. Ce qui est privilégié ici c’est une attitude de conformité (l’élève doit revenir en classe en ayant répondu par écrit aux questions posées) et non une attitude d’appropriation qui supposerait une authentique activité intellectuelle des élèves dans une démarche d’investigation. C’est en raison de ce caractère simplement expositif considéré comme suffisant pour accéder au savoir que nous parlons d’une pédagogique archaïque à propos de la classe inversée.

    I.3. Affirmez, affirmez, il en restera toujours quelque chose !

    Nous l’avons déjà évoqué, les défenseurs de la pédagogie inversée (comme, de façon générale les promoteurs de diverses innovations pédagogiques) procèdent par affirmations péremptoires. Ils supposent sans doute que la répétition de ces affirmations conduira en fin de compte à les faire considérer comme allant de soi. Nous allons soumettre à examen critique quelques-unes de ces affirmations.

    ·  La pédagogie inversée permet-elle de lutter contre les inégalités ?

    Un exemple de cette démarche d’affirmation se trouve dans un article consacré à la pédagogie inversée en SES : « Dans un système scolaire marqué par de fortes inégalités, la pédagogie inversée apparaît comme un moyen efficace d’aider les élèves en difficulté, souvent issus de milieux défavorisés » (Olivier et Viscogliosi, 1995, p. 43).

    La première partie de la phrase fait l’objet d’un large consensus, solidement étayé par des travaux empiriques : le système scolaire est inégalitaire. Quant à la seconde partie on se perd en conjectures. Pourquoi la pédagogie inversée apparait-elle comme un moyen efficace d’aider les élèves en difficulté ? Comment cette efficacité est-elle mesurée ? Comment cette efficacité (si elle existe) est-elle expliquée ? Nous n’en saurons rien. Aucun argument ni aucune enquête empirique ne sont mobilisés pour fonder cette affirmation. Les lecteurs sont priés de partager la croyance des auteurs quant à « l’apparition » d’un moyen efficace de lutter contre les inégalités.

    On a pourtant quelques raisons de s’inquiéter. Une question se pose à beaucoup d’enseignants, puisque les élèves sont supposés avoir acquis le savoir avant leur entrée en classe grâce au visionnage de vidéos, que se passe-t-il si certains élèves n’ont pas fait leur travail ? Sur le site des Cahiers Pédagogiques on trouve la réponse suivante : « ceux qui n’ont pas fait leur travail chez eux pourront toujours le faire pendant le temps de classe, mais ils ne pourront alors pas profiter de l’aide du professeur, qui sera occupé avec des élèves qui auront déjà pris connaissance du cours» (Berthet, 2013). Il est évident qu’il y a là une source d’inégalités, les élèves les moins mobilisés par les tâches scolaires, devront faire en classe ce qu’ils n’ont pas fait chez eux et seront donc privés de ce qui est supposé faire tout l’intérêt de la classe inversée, les activités menées en classe censées permettre l’appropriation des savoirs. Il saute aux yeux que cela va creuser les inégalités d’apprentissage entre élèves.

    On nous dit aussi que pour lutter contre les inégalités il faut s’adapter aux rythmes de l’élève et que la classe inversée le permet. L’élève travaille quand il veut (tôt le matin ou tard le soir), il peut visionner plusieurs fois la vidéo s’il en éprouve le besoin (les élèves « lents » ne seront donc pas défavorisés par rapport aux élèves « rapides »). Tout ce discours sur l’adaptation aux rythmes singuliers de chaque enfant est très répandu…et très discutable. S. Bonnéry écrit : « Sous une apparence compassionnelle, cette idée de rythmes propres à chaque élève conduit inévitablement à les traiter de façon différenciée et donc inégalitaire, à un renoncement à l’école unique. L’idéologie des rythmes empêche en outre les enseignants de se saisir des difficultés pédagogiques, car elle laisse penser que ce qui différencie les élèves tient à une différence de rapidité de compréhension qui tiendrait à leur psychisme, à leurs « dons », ou à leur éducation familiale. Ainsi disparaît l’essentiel : ce qui est dû à une différence d’activité intellectuelle (découlant des habitudes contractées dans la famille) et le fait que le rôle de l’école pourrait être non plus de s’adapter à ces différences initiales (en les entérinant par ce fait même), mais au contraire de considérer que l’élève normal est celui qui a besoin de transformer ses façons de raisonner, en s’appropriant l’attitude intellectuelle spécifiquement requise à l’école et propre à la culture écrite » (Bonnéry, 2007, p. 92-93). Ces analyses qui ne sont pas spécifiques à la classe inversée, constituent une réponse de portée générale à la thèse de la diversité des rythmes des élèves.

    ·  La pédagogie inversée a-t-elle des effets positifs sur les apprentissages des élèves ?

    L’article de Bissonnette et Gauthier (2012) montre, à la suite d’une méta-analyse des travaux existants, que l’on ne peut pas conclure par l’affirmative à cette question. Mais ces auteurs sont sans doute suspects de conservatisme pédagogique aux yeux des adeptes de la pédagogie inversée. Partons donc d’une affirmation d’un prédicateur particulièrement actif de la pédagogie inversée : « Aujourd’hui, si l’on ne peut encore conclure à un impact des classes inversées sur l’apprentissage des étudiants, on observe néanmoins des signes très prometteurs. Parmi ceux-ci, le plus flagrant est peut-être ce foisonnement épistémique si caractéristique des classes inversées et de l’activité de leurs protagonistes » (Lebrun et Lecoq, 2015, p. 99). L’affaire est donc entendue : trois ans après Bissonnette et Gauthier, et quinze à vingt ans après le lancement de la classe inversée, on ne peut pas conclure à un impact de la classe inversée sur les apprentissages ! Dans ce cas, le principe de précaution ne devrait-il pas conduire à ne pas recommander l’usage de cette démarche ? Plus important, est-il légitime de consacrer tant de moyens (formations, sites académiques, colloques soutenus par le ministère, publication de CANOPE, centaines de sites internet, etc.) pour promouvoir une « innovation » dont on est incapable de dire qu’elle a un effet sur les apprentissages ? Mais la phrase de Lebrun et Lecoq est caractéristique d’autres travers importants. A défaut d’effets sur les apprentissages, la pédagogie inversée favorise le « foisonnement épistémique » !!! Fort bien, mais qu’est-ce que le « foisonnement épistémique »[10] ??? On ne nous le dit pas ; on ne nous dit pas non plus comment ce foisonnement est mesuré et comment sa présence dans les classes inversée est attestée. On affirme donc une croyance et une impression des auteurs, qui n’est nullement démontrée. Mais c’est une affirmation diffusée par les moyens officiels de l’éducation nationale !!!

    Classe inversée, motivation et apprentissages

    La question de la « motivation » des élèves et de leur « participation active » comme moyen d’apprentissage efficace est souvent mise en avant par les partisans de la pédagogie inversée. Par opposition au cours « traditionnel » qui serait « magistral » et « ennuyeux », la pédagogie inversée permettrait de rendre les élèves « actifs » ce qui favoriserait leur réussite : « la pédagogie inversée incite les élèves à être plus actifs en classe et à devenir véritablement acteurs de la construction de leurs savoirs à travers les différentes activités qui leur sont proposées[11] ». Cette pratique pédagogique s’inscrit donc dans le courant des « pédagogies novatrices » visant à promouvoir les « méthodes actives ».  Celles-ci correspondent à un ensemble de procédés dont l’objectif est de « mettre en activité » les élèves. Dans cette optique, favoriser la participation des élèves pour les « motiver » devient un objectif majeur[12]. Un argument fréquemment avancé consiste à dire que les élèves sont familiers avec les écrans et que le seul fait de passer d’une forme ennuyeuse (le cours du professeur) à une forme ludique (l’écran du téléphone, de l’ordinateur ou de la tablette) motiverait les élèves. On aimerait comprendre comment la motivation à participer à un jeu vidéo est transférée par magie au fait d’écouter un professeur expliquer en voix off une démonstration mathématique.

    Si les « méthodes actives » se réclament d’un idéal de démocratisation scolaire, des travaux ont montré les limites de ces pratiques. Comme l’explique J. Deauvieau « Ces méthodes d’enseignement conduisent à un affaiblissement des pratiques « explicites » de l’enseignement au profit d’une pédagogie plus « invisible » »[13]. Or comme l’ont notamment montré les travaux de B. Bernstein, un enseignement peu explicite dans lequel les objectifs ne sont pas clairement définis laisse à la charge de l’élève « d’entendre ce qui n’est pas suggéré ». Lorsque les élèves ne perçoivent pas clairement les enjeux et objectifs du cours, faute d’explicitation, « le risque est grand pour l’élève non initié à ces « évidences » scolaires, (…), de passer à côté de ce qui fait l’essentiel de la leçon et qui sera évalué » (Bonnéry, 2015, p. 42). Les chercheurs ont montré que ces pratiques reposant sur la volonté de « rendre les élèves acteurs » au moyen d’activités ludiques sont également sources de malentendus socio-cognitifs, c’est-à-dire qu’elles créent une situation de décalage entre le dispositif que l’enseignant croit avoir mis en place par l’intermédiaire de son discours pédagogique et ce que l’élève interprète. C’est d’ailleurs ce que démontrent E. Bautier et P. Rayou lorsqu’ils écrivent « tous les élèves n’attribuent pas à la tâche proposée la même visée que l’enseignant, sans que cette différence entre les élèves soit toujours visible dans la production réalisée » (Bautier et Rayou, 2013, p. 112). Même si les enseignants qui relatent leurs expériences de « classe inversée » affirment que leurs élèves sont davantage motivés, il faut rappeler avec E. Bautier et P. Rayou que « la présence d’une motivation apparente est peu prédictive des apprentissages réels » (Bautier et Rayou, 2013, p. 171).

    ·  Faut-il changer la place du professeur pour permettre les apprentissages ?

    L’affirmation revient souvent : « Le dispositif de classe inversée permet le passage d’un modèle centré sur le professeur vers un modèle centré sur l’apprenant afin de répondre aux besoins individuels de chacun. L’idée de base est la suivante : « Il vaut mieux utiliser le temps de regroupement en classe pour interagir et travailler ensemble que de laisser une seule personne exposer, en l’occurrence le professeur » (Roussel et alii, 2013). Dans le même sens : « L’enseignant est un accompagnateur : il va passer de groupe en groupe, apporter de temps en temps des corrections, guider, recentrer… depuis que j’enseigne avec cette approche, j’ai vraiment le sentiment d’être plus utile, de ne plus être face aux élèves mais avec eux » (Rachedi, 2015, p. 27).

    Nous sommes toujours dans le discours de l’affirmation, de l’expression d’un « sentiment ». La classe inversée permet à l’enseignant de devenir accompagnateur. Rien d’original, on nous a expliqué que les TPE, l’ECJS, les EPI conduisent l’enseignant à devenir « accompagnateur »[14]. Mais pourquoi faut-il devenir accompagnateur ? Pourquoi est-ce mieux d’être côte à côte plutôt que d’être face à face ? On veut bien se convertir, mais on aimerait que l’on nous donne au moins quelques bonnes raisons de le faire. Mais il y a plus. Le professeur est-il moins central dans la classe inversée ? Rien n’est moins sûr ! Car l’outil essentiel de l’accès au savoir est la capsule vidéo de l’enseignant qui donne, de façon magistrale, les réponses aux questions qu’il pose. Deux promoteurs de de la classe inversée indiquent que les élèves « aiment particulièrement entendre la voix de leur enseignant : le visionnage des vidéos permet aux élèves de se replacer dans une situation proche de celle du cours dans laquelle l’enseignant explique aux élèves les mécanismes, à l’aide de schémas ou d’illustrations. Il y a un effet de proximité qui peut favoriser le processus d’apprentissage » (Olivier et Viscogliosi, 1995, p. 46). Revoilà donc le professeur très central (les élèves aiment sa voix !!!) et les vidéos ont pour principal mérite de constituer une situation « proche du cours » (magistral ? transmissif ?). Nos auteurs n’ont pas tort ! Faire une capsule vidéo c’est un moyen de faire un cours magistral sans être interrompu par des élèves intempestifs qui poseraient des questions pour mieux comprendre, sans avoir à se préoccuper de l’attention des élèves, sans être à l’affut des signes d’incompréhension. Bref la capsule vidéo, c’est le cours magistral sans élèves. Pourquoi pas. Mais il faudrait nous expliquer pourquoi le cours magistral honni par les innovateurs pédagogiques devient par miracle un moyen sans coup férir de faire accéder les élèves au savoir. Le passage du cours magistral « en live » au cours magistral en vidéo aurait donc un effet bénéfique sur les apprentissages ! Pourquoi ? Comment ? Nous ne le saurons pas !

    ·  La classe inversée : quels fondements épistémologiques ?

    Marcel Lebrun[15] articule la classe inversée et le cycle de Kolb. Selon Lebrun, l’apprentissage passe par la succession de quatre étapes qu’il présente ainsi :

    •  Expérience concrète : Temps 1

    •  Observation réfléchie : Temps 2

    •  Conceptualisation abstraite : Temps 3

    •  Expérimentation active : Temps 4

    On est donc dans la fameuse pédagogie inductive qui repose sur une épistémologie empiriste et pragmatiste[16]. Cette démarche inductive est explicitement revendiquée par d’autres défenseurs de la pédagogie inversée qui affirment vouloir développer une « approche inductive suscitant les essais et les erreurs dans une perspective de régulation continue par et avec les étudiants et l’enseignant » (Nizet et Mayer, 2016 p.4). Tout serait pour le mieux dans la doxa pédagogique si les mêmes auteurs n’affirmaient pas que la pédagogie inversée permet « une exposition préalable systématique et explicite aux connaissances théoriques » (Nizet et Meyer, 2016, p.5). Le lecteur de bonne volonté est plongé dans la perplexité. La pédagogie inversée consiste-t-elle à partir de l’expérience concrète ou bien repose-t-elle sur la présentation préalable et systématique des connaissances théoriques ?

    ·  Les connaissances sont-elles disponibles et facilement accessibles sur internet ?

    La classe inversée tente de « redonner du sens à l’école dans laquelle la transmission des savoirs semble déjà largement accomplie sur le Web » (Lebrun et Lecoq, 2015, p. 20). L’idée semble aujourd’hui très largement admise. Jadis l’école avait le monopole de la transmission des savoirs ce qui fondait sa légitimité. Aujourd’hui les connaissances sont librement accessibles sur internet et donc la fonction du professeur comme « passeur de savoir » est obsolète. D’autant plus que les élèves sont des « natifs » de l’univers des TIC et qu’ils sont plus habiles que leurs professeurs dans la manipulation des outils et l’exploitation des ressources en ligne[17]. De ce fait, la fonction de transmission des savoirs est externalisée : « la partie transmissive de la connaissance peut s’appuyer fortement sur les outils technologiques de production multimédia incluant la captation. La diffusion par le réseau et l’accessibilité aisée aux ressources numériques d’enseignement, via différents terminaux, permettent à l’apprenant d’acquérir les connaissances d’une façon asynchrone et en autonomie. Ainsi la classe est réservée pour échanger et interagir autour des connaissances acquises séparément » (Roussel et alii, 2013, p. 11). Une inspectrice générale de l’éducation nationale peut même écrire : « cette pédagogie prend indéniablement une nouvelle dimension avec le numérique. Les possibilités offertes par les technologies numériques pour s’informer, se cultiver et apprendre en dehors de la classe, avant ou après le temps scolaire, ont pour conséquence la dé-linéarisation de l’espace et du temps d’apprentissage, un décloisonnement et une plus grande ouverture sur le monde extérieur » (Becchetti-Bizot, in Lebrun et Lecoq, 2015, p. 5).

    Tout cela repose sur beaucoup de confusions et d’inexactitudes. Tout d’abord, il n’est pas douteux qu’une masse considérable d’informations est accessible très rapidement sur internet. Mais ces informations sont-elles nécessairement des savoirs ? Pas toujours. Les travaux de Gérald Bronner (2013) l’ont bien montré, le fonctionnement des moteurs de recherche conduit à ce que les documents confortant des croyances très répandues (et qui font donc l’objet de nombreuses recherches) apparaissent de façon privilégiée. Par exemple une recherche sur « Astrologie » va faire apparaître beaucoup d’articles favorables à l’astrologie (et des sites commerciaux) et beaucoup plus loin dans le classement des ressources, des articles scientifiques relatifs à l’astrologie. D’autant que les chercheurs sérieux passent rarement leur temps à multiplier les messages sur internet pour réfuter la thèse selon laquelle la terre est plate. De même, les climato-sceptiques sont beaucoup plus actifs sur internet que les chercheurs du GIEC. Une recherche sur la monnaie et les banques centrales va conduire à plus de sites complotistes qu’à des travaux scientifiquement valides, etc. Bref, toutes les informations ne sont pas des savoirs légitimes. Et pour distinguer les unes des autres il faut déjà maîtriser des savoirs ! Internet est très utile pour ceux qui disposent déjà, sur un sujet donné, d’une base de connaissances suffisante. Pour le néophyte, internet procure une abondance d’informations ingérables. Et ce n’est pas l’enseignement de techniques transversales de recherche documentaire qui peut être vraiment utile. Un physicien reconnaitra facilement, dans son domaine, les sources fiables de celles qui ne le sont pas, mais un économiste confronté à des textes relatifs à la physique aura bien des difficultés à faire le tri (et réciproquement).

    Les savoirs (et pas seulement les informations) sont présents sur internet. Mais ces savoirs (les articles de revues scientifiques, les actes de colloques, les archives, les données statistiques, etc.) qui existent objectivement ne sont pas pourtant des connaissances pour l’élève qui apprend. C’est tout l’enjeu du travail didactique de transformer les savoirs (en soi) en connaissances (pour soi). Or la classe inversée suppose que ce passage des savoirs aux connaissances est assuré par les élèves seuls, en dehors de l’école, et qu’au début de la séquence d’enseignement il suffit de vérifier qu’ils ont bien fait le travail demandé à partir de la vidéo. C’est supposer résolu un problème central : la transformation des savoirs en connaissances ne peut se limiter à la réception d’informations (même en vidéo). Elle suppose des interactions sociales, et notamment le rôle du professeur, qui doit repérer les obstacles aux apprentissages et donner aux élèves les moyens de les franchir. En externalisant ce moment essentiel que constitue la transformation des savoirs en connaissances, le risque est fort de mettre en difficulté de nombreux élèves et notamment ceux qui ne bénéficient pas dans leur environnement familial, des étayages permettant de suppléer à l’absence du professeur. 

    Cette difficulté est d’ailleurs perçue par certains partisans de la classe inversée : « Lorsque qu’une notion du cours paraît relativement ardue pour les élèves, il est parfois plus pertinent de recourir au cours dialogué qu’à la pédagogie inversée. En effet, la vidéo et le débriefing qui s’ensuit ne sont pas toujours suffisants pour que les élèves réussissent les activités proposées en groupe. Le cours dialogué permet d’expliquer plus clairement cette notion et de faire avec eux certains exercices d’application » (Olivier et Viscogliosi, 1995, p. 48). Voilà qui est bel et bon ! Mais qu’est-ce qui n’est pas « ardu » dans un enseignement digne de ce nom ? Toute formation authentique suppose de rompre avec le sens commun, de remettre en cause des représentations jusque-là admises, d’opérer des sauts cognitifs vers des approches et des concepts plus abstraits et dotés d’une plus grande portée heuristique. Bref, c’est ce qui est ardu qui est important et qui permet vraiment de progresser dans les apprentissages et la pensée autonome. Or, les défenseurs de la classe inversée nous disent que quand c’est ardu, on en revient au cours dialogué qui est plus efficace.

    ·  La pédagogie inversée permet de différencier et d’individualiser. Mais est-ce souhaitable ?

    On semble considérer aujourd’hui comme allant de soi (et cela concerne la doxa éducative dans son ensemble et pas seulement la classe inversée) qu’il faut individualiser les parcours de formation et personnaliser les apprentissages. Mais est-ce bien certain ? Apprendre est une aventure collective qui repose sur des interactions sociales. L’activité d’un groupe au travail pour apprendre dépend souvent de la construction d’une intelligence collective qui vise précisément à rendre intelligible ce qui ne l’était pas jusque-là. Apprendre suppose de coopérer, de mettre à la disposition de tous ce que l’on a compris et comment on l’a compris, de faire appel au groupe pour parvenir à franchir un obstacle cognitif. Bref l’idéal est de rapprocher la classe d’une situation idéale de parole où l’échange public d’arguments fondés en raison permet de se soumettre à la norme du vrai[18]. Faire de chaque apprenant un individu qui apprend seul, avec parfois l’aide de l’enseignant, est pour le moins discutable et réducteur. C’est pourtant ce que suppose la classe inversée. Dans la phase, décisive, de l’accès au savoir l’élève est seul devant son écran et dans un second temps seulement il interagit avec l’enseignant et les autres élèves pour appliquer des savoirs qui sont supposés acquis.

    Cette volonté de différenciation peut avoir des effets explicitement inégalitaires : « En classe, au début de la séquence, l’enseignant fait un retour avec ses élèves sur la vidéo et corrige le questionnaire avec eux. Ce travail lui permet d’identifier les élèves qui n’ont pas compris la notion. On peut alors placer les élèves en îlots et leur demander de travailler en autonomie sur des exercices de différents niveaux. Les élèves qui ont le plus de difficulté pourront travailler sur des exercices leur permettant de mieux définir la notion. Ils pourront par exemple être amenés à étudier la socialisation différentielle à travers les cadeaux de Noël donnés aux filles et aux garçons. Les élèves les plus à l’aise avec la notion pourront, eux, directement travailler sur des exercices d’approfondissement, en faisant par exemple le lien entre la socialisation différentielle et les inégalités hommes-femmes » (Olivier et Viscogliosi, 1995, p. 45). Dans le cas qui nous est présenté, la différenciation consiste à approfondir le cours avec les « héritiers » et à proposer des exercices basiques aux élèves qui n’ont pas compris le contenu des capsules vidéo. Au bout du compte, une telle démarche contribue à l’évidence à creuser les inégalités d’apprentissage car elle relève de la « différenciation clandestine » (Kahn, 2010, p. 72) articulée à la thèse déficitariste[19]. Ceux qui ont de la peine à assimiler le contenu des « capsules vidéo » se voient confier des tâches de moindre enjeu cognitif, alors que ceux qui maîtrisent les savoirs à l’entrée de la classe vont se voir proposer des approfondissements. C’est un véritable mécanisme cumulatif qui se met en place : les « bons élèves » progressent dans la logique d’appropriation, les « mauvais élèves » s’épuisent à tenter de se conformer aux attentes du professeur.

    Avant d’en venir à l’étude précise de quelques séquences vidéo, il nous semble nécessaire de souligner quelques points essentiels :

    ·  L’idée de faire travailler des ressources par les élèves en amont du cours peut se révéler pertinente à certains moments, avec certains élèves. Présenter cette démarche comme une « révolution pédagogique » qu’il s’agirait de généraliser nous semble très contestable.

    · Faire reposer la « pédagogie inversée » sur l’idée que toutes les connaissances étant déjà disponibles sur internet, la tâche du professeur devient celle d’un accompagnateur nous semble gravement erronée. Comme est erronée l’idée selon laquelle les connaissances étant disponibles et rapidement obsolètes l’école devrait « apprendre à apprendre » plutôt que de mobiliser des savoirs pour permettre aux élèves de s’approprier des connaissances.

    ·  Comme toutes les démarches « innovantes » la classe inversée comporte un risque important d’invisibilisation des apprentissages et donc de risque de création de malentendus qui créent et amplifient des inégalités d’apprentissage. Une vigilance s’impose donc.

    ·  Jusqu’ici, chacun le reconnait, rien ne permet d’affirmer que la pédagogie inversée améliore les apprentissages des élèves. Dès lors, le comportement de certains professeurs qui « passent à la pédagogie inversée » pour en faire leur seule ou leur principale démarche pédagogique est pour le moins risqué. De même, le militantisme en faveur de l’école inversée que l’on constate sur certains sites académiques et l’investissement réalisé par le ministère en faveur de cette approche de l’enseignement semblent assez contestables du simple point de vue du principe de précaution. Des expérimentations évaluées de façon rigoureuse pourquoi pas. Une généralisation hâtive grâce à la mise en ligne de centaines de « capsules vidéos», certainement pas.

    II. Pédagogie inversée : l’exemple des SES

    Dans cette seconde partie, nous allons analyser neuf capsules vidéo consacrées à l’enseignement de SES. Nous avons choisi d’étudier trois capsules vidéo par niveau (seconde, première et terminale). Nous nous demandons si celles-ci créent les conditions d’un apprentissage efficace, comme l’affirment les partisans de la pédagogie inversée.

    Il est important de rappeler que le but des enseignants est que les élèves s’approprient des savoirs et non simplement qu’ils les restituent car leur restitution ne garantit pas leur maîtrise. Dans cette perspective, nous considérons que l’appropriation des savoirs ne va pas de soi mais nécessite l’adoption d’une posture réflexive. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on met les élèves en présence du savoir qu’on leur permet de se l’approprier. C’est ce qu’explique notamment S. Bonnéry lorsqu’il écrit : « La conviction non interrogée que l’attitude d’appropriation « coule de source » conduit à se contenter de mettre les élèves en présence de savoirs : à eux presque seuls de découvrir l’objectif implicite, invisible de la séance. » (S. Bonnéry, 2007, p. 36).

    L’acte d’apprendre, qui est antinomique avec la passivité cognitive, est un processus qui se réalise au travers de trois étapes interdépendantes :

    -  La contextualisation

    -  La décontextualisation

    -  La recontextualisation

    Pour qu’il y ait contextualisation il faut que l’enseignant crée les situations didactiques permettant d’entrer dans une dynamique d’apprentissage. C’est-à-dire qu’il faut « amener les élèves à assumer intellectuellement un problème qui au départ leur est extérieur, afin qu’ils prennent en charge les moyens conceptuels de sa résolution »[20]. Conformément aux travaux de Guy Brousseau, nous considérons donc que l’enseignant doit procéder à la « dévolution du problème », c’est-à-dire qu’il doit, au cours du processus d’apprentissage, apporter une aide aux élèves (interaction didactique) mais sans se substituer à ces derniers en exposant le savoir de façon magistrale « Si le maître dit ce qu’il veut, il ne peut l’obtenir » (Guy Brousseau). Autrement dit, il ne doit pas répondre lui-même au problème posé. Ce dernier doit évidemment être choisi de manière à ce que les élèves soient en mesure de le comprendre et de l’accepter. Cela suppose donc de partir d’une situation-problème pour d’une part, saisir les représentations sociales des apprenants, et d’autres part, problématiser le cours, c’est-à-dire montrer aux élèves les enjeux cognitifs de la séquence.

    Dans la phase de décontextualisation, l’élève doit être capable - par le biais du dispositif pédagogique qui a été mis en place - de repérer le savoir qui est en jeu, au-delà de la réalisation des activités proposées, ce qui implique qu’il ne s’inscrive pas dans une logique de conformité. Les élèves doivent être capables, à l’issue des activités réalisées, d’identifier et de nommer le savoir étudié. Par exemple, dans le cadre de l’analyse des défaillances de marché, ils doivent être en mesure d’expliquer ce qu’est une défaillance de marché indépendamment du contexte dans lequel cette notion a été étudiée. Cela leur permettra par la suite de pouvoir envisager de le réutiliser dans un autre contexte, c’est-à-dire de recontextualiser le savoir. La recontextualisation implique donc que les élèves soient capables d’effectuer des liens entre les notions apprises ce qui leur permet de structurer leurs connaissances et non de les empiler artificiellement.

    Ainsi, nous considérons que c’est dans cette logique d’appropriation des savoirs que les enseignants doivent construire leurs séquences de cours. Or, comme nous allons le voir, la pratique de la classe inversée ne s’inscrit pas dans cette logique et repose sur une certaine méconnaissance des acquis de la recherche en didactique et en pédagogie.

    II.1. Pédagogie inversée et passivité cognitive : Suffit-il d’être en présence d’un savoir pour se l’approprier ?

    L’acte d’apprendre débute dès lors que les apprenants prennent conscience, au travers des interactions didactiques, que leur système de représentations sociales, c’est-à-dire leur conception du monde ou « connaissances spontanées » ne permettent pas de rendre compte d’un phénomène et qu’il faut les transformer pour pouvoir être en mesure de le comprendre. Cela implique de placer les élèves dans une situation de dissonance cognitive (paradoxe, énigme, etc.). Pour cela, il faut donc débuter la séquence par une phase de sensibilisation qui doit créer cette situation et à l’issue de laquelle les apprenants réalisent généralement que leur système de représentations est soit défaillant, soit incomplet[21]. Or, dans toutes les vidéos étudiées, aucune phase de sensibilisation n’est réalisée puisque, dans chacune d’entre elles, le savoir est directement exposé de façon magistrale. Par exemple, concernant le chapitre de première, relatif à la création monétaire, des travaux (A. Beitone et A. Legardez, 1993) ont montré que les élèves ont des représentations sociales qui peuvent être de véritables obstacles aux apprentissages. De manière générale, pour expliquer comment les banques accordent des crédits, les élèves affirment le plus souvent, qu’elles prêtent les dépôts collectés auprès des ménages. Autrement dit, les banques disposeraient de dépôts de leurs clients et à partir de ces dépôts accorderaient des crédits à d’autres agents économiques. Or, cela est erroné et l’enseignant doit le démontrer aux élèves (et sans faire référence au concept de création monétaire), de manière à ce qu’ils puissent prendre conscience qu’ils doivent modifier leurs conceptions, afin d’être en mesure de comprendre le principe selon lequel « les crédits font les dépôts ». Or, les auteurs de la vidéo 4 débutent directement leur capsule de la manière suivante : « Dans cette vidéo, nous allons voir comment la monnaie est créée et par qui elle est créée ».  On constate ici que, d’une part, le savoir n’est absolument pas problématisé, c’est-à-dire qu’à aucun moment les auteurs de la vidéo ne montrent les enjeux du cours (pourquoi s’intéresser au processus de création monétaire ?). Autrement dit, ils n’amènent pas les élèves à s’approprier le questionnement qui est à la base de la séance. Ils ne créent donc pas les conditions permettant aux élèves d’assumer cognitivement ce « problème »[22]. D’autre part, on constate que dans cette vidéo (mais ce constat s’applique aux neuf vidéos étudiées), les apprenants sont considérés comme des « sacs vides que l’on peut remplir de connaissances » (Giordan et De Vecchi, 1987, p. 66) puisque leurs représentations sociales ne sont absolument pas prises en compte étant donné que le savoir n’a pas fait, au préalable, l’objet d’un questionnement (il est magistralement exposé). En effet, les auteurs expliquent de manière erronée (mais nous y reviendrons) le processus de création monétaire : « On désigne par l’expression de création monétaire, l’augmentation du stock de monnaie en circulation dans l’économie ». Cette façon de procéder est d’autant plus problématique que comme l’explique G. De Vecchi, « lorsqu’on néglige de s’appuyer sur les conceptions des élèves, on construit des stéréotypes, des mots vides de sens et, sans y prendre garde, on renforce les représentations fausses : en un mot, celles-ci font écran et ne permettent pas à un savoir nouveau de se construire ou de s’affiner » (G. De Vecchi, 1992, p.101). On voit donc ici que le risque est très grand que les élèves, apprennent cette notion sans la comprendre, et restituent le contenu de la vidéo sans pour autant que leurs représentations en soient modifiées. Autrement dit, l’élève saura qu’elle est la « bonne réponse » à fournir (celle qui est exposée dans la vidéo) sans que cela ne conduise à une restructuration de son système de représentations-connaissances. Dans cette perspective, le savoir ne sera que « décoratif » c’est-à-dire qu’il ne permettra pas de modifier les représentations sociales des élèves. Ainsi, à la question « En quoi consiste la création monétaire » (question qui accompagne l’étude de la capsule), les apprenants n’auront qu’à recopier ce qui est écrit et/ou dit dans la vidéo. De même, les auteurs de la vidéo 3 relative à la justice sociale, commencent à expliquer aux élèves qu’il existe plusieurs conceptions de l’égalité dans les sociétés. Ce qui aurait dû faire l’objet d’une problématisation permettant de créer les conditions d’un apprentissage est magistralement exposé : « (…) lorsqu’on s’intéresse à l’égalité, il faut toujours se demander ; égalité de quoi ? On peut tout d’abord distinguer l’égalité des situations (…), une autre conception de l’égalité renvoie à l’égalité des droits (…) enfin l’égalité des chances (ou équité) (…) ». On ne peut, là encore, que constater que cette pratique pédagogique invite les élèves à la passivité cognitive. En ce sens, et contrairement à ce qu’affirment les partisans de la pédagogie inversée, cette pratique pédagogique est « transmissive » et « descendante ». Aux questions portant sur la définition des concepts du cours : « Qu’est-ce que l’égalité des droits ? Qu’est-ce que l’égalité des situations ? Qu’est-ce que l’égalité des chances ? », les élèves n’auront, une fois de plus, qu’à restituer ou plutôt relever ce qui a été dit et ou écrit par l’enseignant dans la vidéo. De même, dans la vidéo 2 relative à la mobilité sociale, l’auteur explique notamment que « Les sciences sociales distinguent différents types de mobilité sociale. Tout d’abord la mobilité géographique qui correspond au changement de résidence principale au sein d’un même pays, on parle alors de mobilité résidentielle ou au changement de pays de résidence, on parle alors de migration » et il demande par la suite aux élèves« Qu’est-ce que la mobilité géographique ? ». Nous sommes, pour reprendre les termes de Guy Brousseau, en plein dans « l’effet Topaze »[23]. Toujours dans cette même optique, la vidéo 5 portant sur l’étude des défaillances de marché est encore plus révélatrice de ce constat étant donné qu’à l’issue de l’écoute de cette capsule, les enseignants demandent notamment aux apprenants de « Recopiez le schéma permettant d’expliquer la disparition du marché des véhicules d’occasion ». On ne peut que déplorer l’absence totale d’activité cognitive des élèves. Recopier un schéma (et donc « faire juste ») ne permet pas d’être en mesure de le comprendre, d’expliquer le mécanisme en question, c’est-à-dire les liens faits entre les notions.  On ne peut donc que constater que lorsque les partisans de la pédagogie inversée expliquent que par cette pratique, ils rendent les élèves « actifs », ce n’est pas d’activité cognitive dont ils parlent mais de logique d’effectuation de la tâche[24]. Les apprenants manifesteront les « signes extérieurs de l’étude » (S. Bonnéry) c’est-à-dire donneront lors du travail en classe la « bonne réponse » (ils seront donc « actifs »). De cela, on ne peut qu’en déduire que la pédagogie inversée est le terreau d’un malentendu socio-cognitif majeur. En effet, elle invite les élèves à se placer sur un autre registre que celui qui est attendu par l’institution scolaire et qui relève de la posture réflexive, c’est-à-dire de distanciation face aux objets étudiés. Les élèves travailleront donc « à côté » des objectifs visés. Ils seront par exemple capables de répondre à la question « Pourquoi ces externalités entraînent-elles une mauvaise allocation des ressources ? » (Vidéo 5) en récitant mot à mot le contenu de la vidéo sans être amené à identifier et nommer à l’issue de cette question (et plus largement de l’activité proposée) le savoir en jeu. En ce sens, il est fort probable que les élèves n’auront pas conscience du lien qui a été fait (par l’enseignant) entre les notions (externalité et défaillance de marché), faute d’explicitation et de réflexion individuelle et collective sur chacun des concepts. Par conséquent, lors de la correction du questionnaire, ils croiront maîtriser le cours (puisqu’ils ont écrit la « bonne » réponse telle qu’elle est énoncée dans la vidéo), alors qu’en réalité, ils ne seront pas rentrés dans l’abstraction puisqu’à aucun moment ils n’auront eu à se confronter au « problème » posé et à le résoudre eux-mêmes à l’aide des activités proposées. On voit ici que les apprenants sont mis en présence d’un savoir sans qu’on leur donne explicitement les moyens de le maîtriser, c’est-à-dire de pouvoir se l’approprier au moyen d’un cadrage adéquat de l’activité cognitive. Malheureusement, il n’est pas évident que l’enseignant se rende compte de ce malentendu ce qui ne lui permettra pas de remédier aux difficultés des élèves (puisqu’il sera beaucoup plus compliqué de les identifier). Ainsi, en considérant que c’est à l’élève de scolariser lui-même le savoir qui lui est exposé de façon magistrale et non problématisé (via le visionnage des capsules vidéo), la pédagogie inversée contribue selon nous au creusement des inégalités scolaires car, comme l’ont montré notamment les travaux de P. Bourdieu, tous les élèves n’arrivent pas sur les bancs de l’école avec les mêmes dispositions scolaires, c’est-à-dire le même rapport aux savoirs, à l’écrit et à l’oral. Si les « héritiers » peuvent arriver à scolariser eux-mêmes le savoir, on ne peut pas en dire autant des élèves qui ne sont pas familiarisés avec les attentes de l’école.

    La logique de conformité : « Faire juste sans apprendre » 

    Comme nous l’avons vu précédemment, la pédagogie inversée renforce la logique de conformité au détriment de celle d’appropriation du savoir. Pour montrer à quel point l’adoption et le maintien des élèves dans cette logique de conformité a des effets délétères en termes de réussite scolaire, nous pouvons reprendre une des nombreuses études de cas de S. Bonnéry. Prenons par exemple le cas « d’Amidou »[25]. En sixième, lors d’une séance de géographie, l’objectif est d’apprendre à réaliser une carte en s’appropriant les différents symboles élaborés par les géographes. Cet élève parvient en apparence à réaliser le travail demandé (il réalise la carte de géographie) sans voir que l’important n’est pas le résultat du « coloriage » mais les règles de « symbolisation des cartes ». En effet, Amidou ne parvient pas à opérer cette conversion de l’expérience ordinaire en connaissance scolaire. Il réalise la carte en demandant à chaque fois de quelle couleur telle zone doit être coloriée. Il ne se confronte donc à aucun moment à la situation-problème (qui porte sur les règles de symbolisation). Par ce procédé, qui invite à la passivité cognitive, il ne parvient pas à « maîtriser le rapport entre des objets du monde (montagne, fleuve…) » qu’il est censé connaître et « la représentation de ces objets, codifiée et normée par la géographie physique » (S. Bonnéry, 2007, p.48). Ainsi, Amidou arrive le jour du contrôle en étant persuadé que faire « une carte » de géographie c’est faire « la carte » (celle qui a été réalisée en cours et qu’il a apprise par cœur) et est incapable de faire le travail demandé (la nouvelle carte qui fait l’objet du contrô

    15-11-2017 om 18:02 geschreven door Raf Feys  

    0 1 2 3 4 5 - Gemiddelde waardering: 0/5 - (0 Stemmen)
    Tags:flipped classroom
    >> Reageer (0)
    Klik hier om een link te hebben waarmee u dit artikel later terug kunt lezen.dringend een debat nodig omtrent de momenteel gepropageerde interdisciplinaire aanpak en competenties in de context van de nieuwe eindtermen/leerplannen.

    Les enjeux cachés de l’« interdisciplinarité » au collège

    Er is ook in Vlaanderen dringend een debat nodig omtrent de momenteel gepropageerde interdisciplinaire aanpak en competenties in de context van de nieuwe eindtermen/leerplannen.

    Les enjeux cachés de l’« interdisciplinarité » au collège
    Avec Jean-Pierre Terrail, chercheur en éducation, GRDS (Groupe de recherches sur la démocratisation scolaire)
    jeudi 12 novembre, à 18h30,

    Présentation :
    L’actuelle réforme du collège, censée entrer en vigueur à la rentrée 2016, introduit dans la charte des enseignements une « matière » nouvelle, ou plutôt de « nouvelles modalités d’enseignement », les EPI, enseignements pratiques interdisciplinaires. Ces EPI doivent être organisés autour de huit thématiques (‘développement durable’, ‘monde économique et professionnel’, ‘corps, santé et sécurité’, citoyenneté, etc.) et elles devraient occuper pas moins de 20% du temps d’enseignement global, évidemment soustraits aux enseignements disciplinaires.

    Si ce point de la réforme n’a pas fait l’objet de débat public, ce que lui reproche le SNES, il n’en a pas moins fortement attiré l’attention et suscité d’horizons divers nombre d’interventions vantant les vertus de l’interdisciplinarité. Il semble au premier abord que la question soit proprement pédagogique, et c’est bien ainsi que les promoteurs de la réforme et les thuriféraires de l’interdisciplinarité la présentent. On peut cependant douter qu’elle soit seulement, ni même d’abord, d’ordre pédagogique. Cela apparaît assez clairement pour peu que l’on rapproche l’interdisciplinarité des deux autres thématiques qui ont occupé le débat scolaire au long des quinze dernières années : la « formation des compétences », et les « éducations à ».

    Si le projet d’introduire la formation des compétences dans l’enseignement général, sur le modèle de l’enseignement professionnel, émerge dès la fin des années 1980, il ne prendra vraiment corps qu’avec la loi Fillon de 2005 et la définition en 2006 du « socle commun de connaissances et de compétences ».

    L’argumentation de ses promoteurs s’appuie sur le constat, ou l’hypothèse, d’un décalage entre les savoirs transmis par l’école et le savoir agir qui sera nécessaire au futur citoyen dans sa confrontation aux grands enjeux de la vie sociale et professionnelle. Le bagage scolaire ne peut donc se réduire à un empilage de savoirs académiques, l’école se désintéressant du savoir agir.

    Si pour certains chercheurs la formation des compétences a partie liée avec l’approfondissement des savoirs disciplinaires, pour la majorité des experts dans les années 2000 il ne peut s’agir que d’une activité éducative spécifique, organisée à partir des enjeux de la vie pratique, et consistant à confronter les jeunes à des « situations-problèmes ».

    Et pour certains même c’est l’ensemble de l’enseignement qui doit être réorganisé autour de ces enjeux, car « le savoir vaut par ce qu’il permet de faire » (B. Rey), et c’est seulement en le posant comme tel qu’on peut donner du sens aux apprentissages.

    À l’instar de la rhétorique prônant « l’approche par compétences », la promotion des « éducations à » met en avant l’insuffisance des savoirs scolaires s’agissant de préparer les jeunes aux exigences de la vie sociale, la portée de l’argument étant renforcée là aussi par la référence aux considérations d’Edgar Morin sur la complexité croissante du monde.

    Si le souci chez les responsables nationaux que l’école adapte ses publics à l’ordre social et leur en inculque le respect est une constante historique, le chaos du monde et les menaces sur la planète favorisent aujourd’hui la formation d’un large consensus autour d’une éducation scolaire spécifiquement sociale et morale. On passe ici du savoir-agir (les compétences) au devoir-agir. Mais le rôle de l’école est-il d’inculquer des valeurs, au risque de subordonner la transmission des savoirs aux exigences de la vie pratique, ou de transmettre les connaissances à partir desquelles les valeurs peuvent se construire ?

    Rapportées à la segmentation disciplinaire traditionnelle de l’enseignement scolaire, la formation des compétences comme l’instauration des « éducations à » soulèvent au premier chef la question de l’interdisciplinarité, dont on ne saurait s’étonner donc qu’elle occupe si ostensiblement aujourd’hui le devant de la scène.

    Pour certains intervenants, tel Edgar Morin, c’est l’ensemble de la structuration disciplinaire de notre enseignement qu’il faudrait faire éclater, au profit de la formation chez les jeunes élèves de la « pensée reliante » qui serait seule à même de leur permettre d’appréhender la complexité.

    Ces nouveaux impératifs de la pensée pédagogique – la formation des compétences, les éducations à, l’interdisciplinarité – recueillent l’assentiment d’une large partie des protagonistes des politiques éducatives. On trouve leurs partisans dans les organismes internationaux, parmi les responsables politiques de droite et de la gauche socialiste, au ministère de l’éducation nationale, dans les mouvements pédagogiques, dans une partie du mouvement syndical enseignant.

    Comment a pu se former aussi vite un aussi large consensus autour de ces thèmes relativement nouveaux de la pensée pédagogique ?

    L’argument le plus récurrent avancé à l’appui de leur promotion est celui de la nécessité de préparer les jeunes à la complexité des enjeux et des contraintes du monde actuel.

    On peut l’entendre, sachant les tensions dramatiques de la conjoncture historique. Ce n’est pas la question posée qui fait problème, c’est la réponse qui lui est apportée, et qui n’a, elle, rien d’évident. Le monde est plus dur, plus complexe et il est urgent de mettre les jeunes générations en position de s’en approprier les enjeux et de les affronter de façon avertie et démocratique ? C’est donc qu’il faut améliorer très sensiblement la transmission des connaissances et le niveau de formation des élèves, ce qui implique naturellement, ce que savent bien les responsables des filières d’excellence, une appropriation approfondie des savoirs disciplinaires.

    Or ce n’est pas du tout là la réponse avancée par les experts et les pédagogues attachés, eux, à faire sauter le « carcan disciplinaire » dont souffrirait notre système éducatif[1]. Leur posture ne s’éclaire qu’en regard du public scolaire visé.

    Pour eux en effet les vertus qu’ils prêtent à la formation des compétences et à l’interdisciplinarité valent surtout pour les élèves issus des milieux populaires qui vont se retrouver massivement en difficulté à la sortie de l’école élémentaire.
    « Ceux que l’école devrait mieux préparer à la vie, note ainsi Philippe Perrenoud, sont ceux qui sortiront du système éducatif sans avoir acquis le niveau de culture suffisant pour apprendre facilement à l’âge adulte ce qu’ils n’auront pas acquis à l’école obligatoire. »[2] Les autres sauront convertir par eux-mêmes leurs connaissances en compétences pratiques. Et cela est vrai pour la formation des compétences comme pour les « éducations à », lesquelles ont d’ailleurs vocation à concerner essentiellement le collège, et certainement pas les filières d’excellence du lycée et de l’enseignement supérieur.

    Ce n’est évidemment pas un hasard si ces débats pédagogiques ont surgi à chaque fois à l’occasion de la définition d’une formule donnée du « socle commun » (celle de la droite d’abord, puis celle du PS), lequel socle définit les objectifs de scolarisation pour les élèves en difficulté.

    L’agitation intellectuelle développée autour de la pédagogie des compétences et de l’interdisciplinarité ne prend donc son sens que référée à son implicite, la politique du socle commun. Elle parle en réalité d’autre chose que de pédagogie : de politique scolaire. Ce déplacement du politique vers le pédagogique a un double intérêt pour ceux qui en jouent le jeu.

    Pour les élites dirigeantes, il permet de passer en douceur de la thématique de l’égalité des chances, qui n’est plus crédible depuis que les flux de sortie du système éducatif se sont figés, au milieu des années 1990, à la thématique de l’école du socle, qui met en débat la façon d’apporter le meilleur aux enfants du peuple, tout en faisant glisser la question des inégalités sous le tapis.

    Pour les professionnels du monde éducatif qui restent attachés aux principes de la rénovation pédagogique des années 1970, ce déplacement permet de reprendre quelque vigueur (l’approche par compétences valorise l’auto-formation des élèves ; les EPI sont appelés à privilégier les objets d’enseignement concrets et à pratiquer la pédagogie différenciée) ; tout en leur évitant d’avoir à défendre le bilan des quatre décennies de mise en œuvre de ces principes.

    On ne saurait évidemment conclure de ces observations critiques que la structuration actuelle des disciplines scolaires dans notre système éducatif ne saurait souffrir la moindre contestation. Mais on peut plaider pour que la discussion soit menée au grand jour et clairement référée à telle ou telle politique pour l’école.

    Tout peut être légitimement objet de débat en matière de contenus d’enseignement – qu’il s’agisse de la place actuelle des différentes disciplines scolaires, de leurs rapports aux disciplines savantes, de la conception de leur enseignement, de la place à faire à de nouveaux enseignements, du rôle de l’école dans la formation des savoir-agir, etc. – à condition que le contexte de la discussion soit bien précisé : a-t-on en vue le programme d’une école fondamentale qui ne prend sens que pour ceux qui n’iront ni plus vite, ni plus loin, comme dirait Ph. Perrenoud ; ou celui d’une école démocratique, qui s’assigne comme objectif prioritaire l’élévation massive des niveaux de formation et une réduction considérable des inégalités de réussite des apprentissages ?

    Cette exigence de clarification des enjeux pédagogiques invite à revenir sur le terrain du politique, en posant la question que les débats actuels sur l’interdisciplinarité refusent implicitement de poser : notre pays a-t-il besoin aujourd’hui, a plus forte raison demain, d’une éducation scolaire pour tous de haut niveau, une éducation qui ne vise pas d’abord à inculquer des messages, mais à former des capacités instruites de réflexion et d’analyse ?

    [1] L’expression est de C. Reverdy, « Éduquer au-delà des frontières disciplinaires », Note de Veille (Institut français d’éducation), n° 100, mars 2015.
    [2] Philippe Perrenoud, Quand l’école entend préparer à la vie, op. cité, p. 19.

    Voir également le site du GRDS et la présentation de la nouvelle saison du séminaire

    Le séminaire public du GRDS, en partenariat avec la fondation Gabriel Péri, est dédié à la question des…
    democratisation-scolaire.fr

    15-11-2017 om 17:28 geschreven door Raf Feys  

    0 1 2 3 4 5 - Gemiddelde waardering: 0/5 - (0 Stemmen)
    Tags:interdisciplinaire aanpak, vakkenoverschrijdende aanpak
    >> Reageer (0)
    Klik hier om een link te hebben waarmee u dit artikel later terug kunt lezen.De leesprincipes van prof. Stanislas Dehaene zijn precies dezelfde als deze die we al sinds 1986 in onze 'Directe systeemmethodiek' voor leren lezen propageren.

    De leesprincipes van prof. Stanislas Dehaene zijn precies dezelfde als deze die we al sinds 1986 in onze 'Directe systeemmethodiek' voor leren lezen propageren.


    Daarnaast hebben we die principes ook concreet uitgewerkt naar de klaspraktijk toe.

    De DSM-principes worden momenteel in de meeste leesmethodes in Vlaanderen en Nederland toegepast.

    Maar hoe komt het nu dat er zich in Frankrijk de voorbije decennia een ware lees-oorlog ontketende en dat dit niet of veel minder het geval was in Vlaanderen?

    Het Franse onderwijs kent een andere historiek van het leren lezen dan het Vlaamse. In Frankrijk was er de voorbije 50 jaar en ook nog de voorbije jaren een hevige strijd omtrent de leesmethodiek. De nieuwe onderwijsminister Blanquer pleit momenteel voor het radicaal verlaten van globale of globaliserende leesmethodieken.

    Vanaf de jaren 1960-1970 pleitten veel universitaire taalkundigen in Frankijk vanuit hun 'globale' taal-visie ook voor de globale leesmethodiek, waarbij het aanleren van de leestechnieken minder belangrijk werd; het accent werd gelegd op de betekenis van wat de kinderen lezen cf. globale methodiek van Ovide Decroly die in de jaren vijftig ook heel sterk door onze inspectie gepropageerd werd.)

    Die globale methodiek vond vooral steeds meer ingang in het Franse onderwijs omdat de universitaire taalkundigen die in de intussen universitair gemaakte onderwijzersopleiding in 1989 de leesmethodiek in handen kregen en vanuit hun whole-language-visie meteen ook een globale leren-lezen -methodiek propageerden. In Frankrijk wordt de sterke niveaudaling van de voorbije 20 jaar - cf. zwakke PISA-scores e.d. - ook op naam geschreven van de whole-language-visie die ertoe leidde dat het aantal leerlingen met lees-, schrijf- en spelling-problemen gevoelig toenam.

    In Vlaanderen propageerden ook heel wat universitaire taalkundigen - de globale leesmethodiek. Dit kwam tot uiting in bijdragen van het tijdschrift. VONK vanaf de jaren zestig. En ook nog in een interview in 1996 met Onderwijskrant pleitte de toenmalige directeur van het Steunpunt NT2-Leuven nog voor de globale leesmethodiek. Het Steunpunt NT2 werd later het CTO -centrum voor taalonderwijs o.l.v. Kris Van den Branden.

    In Vlaanderen hebben we vanaf de jaren zeventig vanuit onze lerarenopleiding de globale leesmethodiek heftig bestreden - en eveneens de globale inslag in de startfase van de zgn. structuurmethodes als Veilig Leren Leren.

    We stelden als alternatief onze fonetische 'directe systeemmethodiek' (DSM) op en die methodiek wordt momenteel in de meeste leesmethodes toegepast.

    Meer weergeven


    15-11-2017 om 16:35 geschreven door Raf Feys  

    0 1 2 3 4 5 - Gemiddelde waardering: 0/5 - (0 Stemmen)
    Tags:leren lezen, directe systeemmethodiek
    >> Reageer (0)
    14-11-2017
    Klik hier om een link te hebben waarmee u dit artikel later terug kunt lezen.invloed van de competentiegerichte onderwijsvisie in de leerplannen Frankrijk :gevoelige daling van niveau en toename van sociale discriminatie

    Cahier de recherche sur l’éducation et les savoirs
    16 | 2017 : L'approche par compétences : une réforme voyageuse ?

    Studie over nefaste invloed van de competentiegerichte onderwijsvisie in de leerplannen Frankrijk :gevoelige daling van niveau en toename van sociale discriminatie

    Dossier
    L’introduction en France des compétences dans la scolarité unique. Enjeux politiques, enjeux de savoir, enjeux pédagogiques et did
    actiques

    p. 73-93

    Samenvatting

    L’introduction des compétences dans les programmes de l’école unique (élémentaire et collège) en France et notamment du « socle commun », a donné lieu à des alliances autour du terme « compétence ». Les définitions de ce terme sont en réalité plurielles (utilitaire, participationniste, « retour aux fondamentaux »), selon les groupes d’acteurs qui cherchent à influer sur les programmes. Elles relèvent à la fois de l’importation de conceptions des organismes internationaux et du monde professionnel, ainsi que du débat politique et pédagogique national.

    Ces prescriptions officielles ont des effets sur les manuels et les dispositifs pédagogiques qui renouvellent la contribution aux inégalités : élévation des exigences pour une partie des compétences, requises mais peu enseignées, donc saisissables seulement par les élèves préparés par la socialisation familiale ; limitation à des procédures simplifiées pour les élèves moins connivents ainsi moins préparés à la poursuite d’études longues.
    ----------

    Conclusions

    Dans le cas de la France, l’introduction de la logique des compétences dans le primaire et le secondaire apparaît comme un catalyseur de logiques plurielles déjà présentes mais qui ont alors fait système, à la fois dans les programmes (du fait des jeux d’alliance de groupes d’acteurs) et dans les pratiques de classes (du fait de la polysémie de ce que recouvre le terme de compétences dans l’éducation). On observe d’abord une élévation des exigences quand les situations chaque fois nouvelles et complexes sollicitent des « compétences avec mobilisation » (Rey, 2014) où, contrairement aux discours ambiants, les savoirs disciplinaires ne sont pas absents mais moins donnés à voir : c’est à l’élève de les mobiliser simultanément à d’autres ressources (expérience personnelle, éclairage de tel aspect du monde, etc.).

    C’est la traduction des définitions « anti-académiques » qui voulaient que l’école serve non pas seulement à retenir des faits, mais à faire penser sur les situations de la vie professionnelle et sociale. Cette introduction est donc de nature à correspondre aux attentes de groupes sociaux fortement scolarisés depuis plusieurs générations, pour qui les exigences scolaires du passé semblent relever de l’évidence et d’une trop grande facilité.

    Ainsi, ces exigences sont très peu accompagnées, la logique des compétences reposant sur l’idéologie spontanéiste, d’où une ambiguïté entre les situations pour les faire acquérir aux élèves et celles qui les requièrent pour apprendre. De fait, les définitions « participationnistes » des compétences donnent surtout à voir le « faire » visible et donc évaluable dans les tâches, en masquant les enjeux sous-jacents de savoir et de réflexion pour ceux qui n’ont pas les prérequis. Ces tâches sont « à usages multiples », encourageant un dénivellement des exigences selon les profils sociaux des élèves, surtout quand restent prégnantes les traductions des définitions à la fois « conservatrices » et « utilitaires » des compétences : les élèves les moins connivents sont particulièrement focalisés sur des procédures simples et automatisables, ces dernières leur étant moins données à voir comme des outils pour appréhender des exigences plus élevées.

    L’introduction des compétences dans les programmes n’a pas créé de toutes pièces le renoncement à viser les mêmes objectifs avec tous les élèves de la scolarité unique. Mais en constituant, dans des situations en apparence partagées autour d’un « faire » ambigu, à la fois une élévation d’une partie des exigences, et une possibilité de réduction des sollicitations à des procédures simples, elle a constitué un catalyseur de la cohabitation de ces logiques.
    Ceci pourrait expliquer, avec d’autres raisons cumulées, le fait que les inégalités s’accroissent, les évaluations internationales montrant que le niveau des meilleurs élèves français progresse au cours des dernières décennies, celui des plus faibles régressant encore.

    Ces élèves « bons » et « faibles » ne se recrutent pas au hasard socialement. Les recherches montrent que ceux qui satisfont le mieux aux réquisits tacites des compétences exigeantes bénéficient d’une socialisation familiale plus proche de la culture scolaire. Pour ceux dont les parents ont suivi des parcours scolaires plus courts, l’écart est plus grand quand l’École ne crée par les conditions pour qu’ils construisent ces compétences et les savoirs.

    -----------

    Après s’être développée dans le domaine professionnel (Ropé & Tanguy, 1994) et avoir été promue de plus longue date par différents organismes internationaux, la logique des compétences a été introduite par étapes dans la scolarité unique française. La loi d’orientation de 1989 puis, surtout, l’instauration du « socle commun » de 2006 (en passant par le processus de Bologne, etc.) constituent des moments clés de ce processus. La première partie de l’article montre d’abord la cohabitation de logiques plurielles participant de l’introduction des compétences dans les programmes, qui ne peut être considérée seulement comme l’application de préceptes internationaux

    Cette introduction dans les programmes a donné lieu à des débats quant aux conséquences dans les pratiques pédagogiques de la logique des compétences sur les savoirs enseignés, et quant à ses effets démocratisants ou inégalitaires. La deuxième partie montre justement ce qu’il en est dans les supports (manuels surtout, mais aussi fiches d’activité) et les dispositifs pédagogiques (types de pratiques récurrentes entre situations, classes et établissements – Bonnéry & alii, 2015).

    Il ne s’agit cependant pas ici de penser de façon disjointe les programmes et les pratiques de classes. Les recherches qui, au sein de la sociologie de l’éducation française, traitent des réformes curriculaires dissocient souvent deux dimensions qu’il nous semble utile d’articuler. D’un côté, les recherches portant sur la construction des programmes étudient les groupes d’influences et les rapports de force à l’œuvre, les processus d’élaboration, leur traduction dans des textes officiels, etc. Elles n’accordent que peu d’attention à l’articulation entre ces dimensions et les enjeux propres aux contenus d’enseignement. D’un autre côté, les recherches privilégiant les enjeux de savoir des réformes se focalisent sur leur mise en œuvre dans les classes pour comprendre les exigences intellectuelles imposées aux élèves. Elles tendent alors à laisser dans l’ombre les enjeux politiques ainsi que les conceptions concurrentes des besoins de formation qui conduisent aux réformes. Notre article articule ces deux axes de recherche, pour saisir les effets d’écho entre les définitions des compétences dans les programmes, et leurs mises en œuvre et leurs effets dans les classes.
    -----------
    L’élaboration du socle commun marque une rupture importante. Conçu comme un « nouveau principe d’organisation d’école obligatoire »2, il dispose en effet, tant sur le plan juridique que pédagogique, d’une valeur supérieure aux programmes, qui ne font l’objet que de simples arrêtés ministériels. Même si leur existence n’est pas remise en cause, les disciplines et les programmes scolaires ont désormais vocation à être subordonnés à l’acquisition des compétences du socle, qui deviennent dès lors la véritable finalité de la scolarité obligatoire. Aussi, la mise en œuvre du socle a-t-elle pu être présentée « comme le signe et comme l’aboutissement d’une sorte de révolution copernicienne dans le domaine des apprentissages et de leur évaluation »3.
    Une clé de l’énigme réside dans la plasticité des notions de « compétences » (Crahay, 2006) et de « socle » qui a permis de réunir, au moins provisoirement, autour d’un même mot d’ordre une constellation d’acteurs hétéroclites : organisations internationales – Union européenne et OCDE notamment –, hauts fonctionnaires modernisateurs, représentants du conservatisme politique et pédagogique, organisations syndicales réformistes et certains mouvements pédagogiques. En revenant ainsi sur les définitions différenciées de la notion de « compétences » portées par ces différents acteurs, on ne se donnera pas seulement les moyens d’expliquer la formation de ce consensus, a priori improbable, autour de la réforme, mais aussi, comme on le verra dans la seconde partie, les incertitudes et les contradictions auxquelles donne lieu sa mise en œuvre dans les classes.

    Le HCE propose ainsi de structurer les différents piliers du socle sur le modèle européen, dans lequel chaque compétence générale est déclinée en connaissances, aptitudes et attitudes. Il ajoute également deux nouveaux piliers – « compétences sociales et civiques », « autonomie et initiative » – exclusivement dédiés à des compétences transdisciplinaires et dont le contenu est très directement inspiré du projet européen, qui parle de « compétences interpersonnelles, interculturelles et compétences sociales et civiques » et d’« esprit d’entreprise ». Considérant que « l’École a une obligation de résultats, effectifs et vérifiables », il affirme enfin que « l’exigence dans le contenu est indissociable d’une exigence dans l’évaluation » et préconise la définition de paliers d’évaluation ainsi que la création d’un document personnel retraçant l’évolution des acquis de chaque élève compétence par compétence.
    Un antagonisme national : les compétences contre la scolastique (klassieke vakdisciplinare leerinhouden)

    Pour les signataires du Manifeste pour un débat public sur l’école 10 – universitaires, dirigeants syndicaux et militants de mouvements pédagogiques ou d’éducation populaire réunis, fin 2001, par Jacky Beillerot et Philippe Meirieu – ou pour des organisations comme le SGEN-CFDT, le SE-UNSA, les Cahiers pédagogiques, Éducation & Devenir ou la Ligue de l’enseignement, les compétences du socle commun sont d’abord et avant tout une « promesse démocratique » permettant de « transformer l’École “machine à trier” en une École de l’émancipation et de la promotion de tous »11.

    Ces acteurs considèrent en effet la conception scolastique des savoirs scolaires héritée de l’enseignement secondaire classique ainsi que les pédagogies traditionnelles comme le moteur de la sélection par l’échec. De leur point de vue, les impasses de la démocratisation scolaire et du collège unique s’expliqueraient par la transposition à cette école moyenne de masse d’un modèle pédagogique, celui des collèges jésuites et du lycée napoléonien, conçu pour une élite restreinte socialement et scolairement. Devenu un véritable lieu commun, ce discours sans auteur véritable, anonyme et collectif, s’est avéré être l’un des plus puissants vecteurs de légitimation de la réforme. Réinscrite dans un tel schéma narratif et argumentatif, l’introduction de l’approche par compétences pouvait en effet être présentée comme une arme au service de la justice sociale et scolaire et non comme le cheval de Troie d’une conception utilitariste et behavioriste des contenus d’enseignement.

    Avec ces arguments, ceux qui se présentent comme les partisans de l’école démocratique ont donc porté une définition participationniste de la notion de compétences. À leurs yeux, l’inscription du socle commun dans le code de l’éducation devait en effet permettre, d’une part, de reconnaître, tant symboliquement que juridiquement, la prééminence des pédagogies actives où l’élève participe à la construction de son propre savoir et, d’autre part, de faire de la participation pleine et entière de l’élève à la vie de la cité la véritable finalité de la scolarité.

    De ce de double point de vue, la rédaction finale du décret du 11 juillet 2006 apparaît comme un succès pour les tenants de cette définition participationniste. Indiquant que la spécificité du socle réside « dans la volonté de donner du sens à la culture scolaire fondamentale, en se plaçant du point de vue de l’élève et en construisant les ponts indispensables entre les disciplines et les programmes », le texte dit en effet que « maîtriser le socle commun, c’est être capable de mobiliser ses acquis dans des tâches et des situations complexes, à l’école puis dans sa vie ; c’est posséder un outil indispensable pour continuer à se former tout au long de la vie afin de prendre part aux évolutions de la société »12. Quant aux « compétences sociales et civiques » ainsi qu’à « l’autonomie et l’initiative », elles figurent désormais parmi les finalités premières de la scolarité obligatoire (cf. supra).

    Back to basics
    Bien qu’elles soient le produit d’univers et d’acteurs sociaux distincts, la définition utilitariste et la définition participationniste des compétences se rejoignent donc dans la dénonciation du caractère scolastique des contenus d’enseignement et dans la critique des disciplines comme cadre organisateur de la transmission des savoirs. Si la mise en évidence de ces deux définitions et des acteurs qui les ont portées permet de mieux cerner le sens effectivement pris par la notion de compétences en France, cela ne suffit cependant pas à expliquer certaines modalités de la transposition du socle commun dans les programmes et certains de ses effets dans les classes.
    En effet, pour la nébuleuse que constituent des associations comme Sauver les lettres ou Sauvez les maths, des syndicats comme le SNALC, le SNUDI-FO ou le SNFOLC, des enseignants auteurs de livres à succès dénonçant la faillite de l’Éducation nationale, des personnalités hostiles aux évolutions pédagogiques, l’élaboration et la mise en œuvre du socle commun sont apparues comme une nouvelle bataille où conduire leur combat contre le pédagogisme, le dogme de l’élève au centre, les IUFM ou encore la baisse des exigences et du niveau des élèves.

    Ayant l’oreille des différents ministres de l’Éducation nationale s’étant succédé rue de Grenelle entre 2002 et 2009 – Xavier Darcos, François Fillon, Gilles de Robien et à nouveau Xavier Darcos –, plusieurs acteurs de cette nébuleuse sont discrètement intervenus à différentes étapes de la réforme : de la Commission du débat national sur l’avenir de l’école, présidée par Claude Thélot, jusqu’à l’écriture des nouveaux programmes en passant par la rédaction de la loi du 23 avril 2005 et du décret du 11 juillet 2006 (Clément, 2013 : 543-653).

    Assimilant l’approche par compétences à une attaque contre les savoirs et les disciplines, ils ont cherché à construire le socle commun sur une autre logique, celle d’un retour aux fondamentaux à la fois dans le curriculum formel et dans les processus de transmission et d’appropriation des savoirs : en faisant de la définition du socle le prélude, d’une part, à une réécriture en profondeur de l’ensemble des programmes et, d’autre part, à un changement massif des méthodes et des pratiques pédagogiques.
    Produit des alliances de circonstances entre les trois réseaux d’acteurs que l’on vient de décrire, la version définitive du socle commun apparaît finalement comme un objet pédagogique hybride, où se télescopent des logiques plurielles, voire antagonistes. Compte tenu de cette relative indétermination, la réforme restait donc ouverte à toutes les appropriations possibles dans sa phase de mise en œuvre. Elle a ainsi des fortunes très diverses en fonction des disciplines et des niveaux d’enseignement.

    La transposition de la réforme dans les programmes

    Élaborés pour l’essentiel en 2007, les nouveaux programmes du collège dans les disciplines scientifiques (mathématiques, physique-chimie, sciences de la vie et de la terre13, technologie) sont incontestablement ceux qui ont le plus intégré la logique de la réforme. Ils combinent en effet le retour aux fondamentaux et la définition de compétences transversales. En mathématiques et en physique, les programmes distinguent ainsi deux types de savoirs : d’un côté, les savoirs de base relevant du socle, qui doivent, par définition, être impérativement acquis par tous les élèves et, de l’autre, des savoirs plus ambitieux, pour des élèves dont les caractéristiques restent indéfinies. En mathématiques, la mise en œuvre du socle aboutit même à acter ouvertement la différenciation de deux niveaux d’exigences. Dans l’introduction des programmes, il est en effet précisé qu’« au niveau des exigibles du socle commun, toute technicité est exclue, puisque – dans l’esprit général du socle – on se limite à des problèmes simples, proches de la vie courante »14.
    Cela étant, les changements introduits par ces nouveaux programmes ne se réduisent pas à l’identification des fondamentaux et à l’officialisation d’un dénivellement des exigences. Ils traduisent également la diffusion de la définition participationniste.

    Mettant résolument l’accent sur le travail interdisciplinaire à travers une longue introduction commune aux quatre disciplines et six thèmes de convergence, les programmes explicitent en effet clairement en quoi chaque discipline peut servir des objectifs de formation généraux et permettre l’acquisition de compétences transversales. La logique participationniste concerne également les méthodes : la démarche d’investigation se trouve ainsi placée au cœur des programmes dans le cadre d’une approche qui « privilégie la construction du savoir par l’élève »15.
    Comparés aux programmes du pôle scientifique, ceux qui relèvent des humanités (français et histoire-géographie notamment) apparaissent peu affectés par la réforme : les savoirs de base n’y sont pas distingués, les objectifs généraux de formation ne sont guère explicités, la transversalité est quasiment absente, tandis que les capacités sont seulement développées sur un mode disciplinaire et que les attitudes passent à la trappe. Mais c’est probablement parce que la logique des compétences avait pénétré les programmes plus tôt, depuis la fin des années 1990, et qu’il n’était pas aussi utile d’en marteler les préceptes. On est alors davantage dans la continuité plutôt que dans le franchissement d’un palier supplémentaire.
    Dans le primaire enfin, les programmes arrêtés par Xavier Darcos en 2008 ont introduit une véritable rupture par rapport aux programmes de 2002, qui mettaient en effet l’accent sur la construction de son savoir par l’élève, la découverte du monde, les disciplines d’éveil, la littérature de jeunesse comme vecteur de la culture littéraire, etc. Prenant l’exact contrepied de ces orientations, les programmes de 2008 consacrent au contraire une réduction très nette du champ des savoirs proposés au profit de l’acquisition des savoirs de base.

    Les compétences, des programmes aux pratiques

    Ces différentes définitions des compétences entremêlées dans les programmes sont formulées pour l’essentiel en tant qu’intentions et objectifs, sans détailler des pratiques prescrites (les documents d’application restant aussi assez généraux). Mais elles constituent des éléments disponibles pour l’ingénierie pédagogique (notamment la constitution des manuels) et pour les enseignants. Elles participent ainsi, avec des appropriations et interprétations successives, à influer sur les tâches et les exigences intellectuelles auxquelles se confrontent les élèves.

    Compétences : des mises en œuvre ambiguës
    Si l’on veut comprendre ce paradoxe, de même que les résonances dans les classes des débats contradictoires qui ont eu lieu au moment de l’introduction d’une logique d’enseignement et d’évaluation appuyée sur l’idée de compétences, il nous faut préciser les grandes logiques de mise en œuvre de cette notion de compétences et leur plus ou moins grande pertinence ou possibilité de traduction dans la classe, en fonction de la nature des savoirs en jeu.

    À l’instar de ce que Rey a mis en évidence, on trouve deux grandes utilisations du terme de compétence (Rey, 2014) dans les supports et dispositifs pédagogiques, permettant de comprendre pourquoi cette introduction a contribué au flou dans les apprentissages, comme à l’accroissement des inégalités.
    Dans un premier sens, l’introduction des compétences correspond à une élévation importante des exigences dans les situations scolaires, qui requièrent une pluralité d’actions cognitives : l’identification et l’analyse d’un problème dans une situation donnée, complexe, qui pour être résolu suppose le choix des savoirs pertinents et leur mobilisation actualisée – les savoirs mobilisés pouvant être de natures diverses (théoriques, savoir-faire, savoirs expérientiels). On trouve là un certain écho des logiques « participationnistes » (c’est davantage aux élèves d’apprendre qu’à l’école d’enseigner) et en partie « utilitaristes » (mobiliser des savoirs dans des problèmes présentés comme proches de « la vie ») à l’œuvre dans les programmes, évoquées dans la première partie.
    Dans un second sens, les compétences sollicitées sont réduites à des techniques automatisables ou procédures sur des objectifs précis et ponctuels (savoir conjuguer tel verbe, tel temps, savoir calculer, identifier un schéma narratif).Elles existent dans certains apprentissages scolaires, pas seulement parce qu’elles font écho aux conceptions des groupes d’acteurs qui voulaient « conserver » dans les programmes des tâches traditionnelles et identifiables, mais car elles constituent aussi des outils pour accéder aux tâches plus complexes. Elles font donc simultanément écho, dans les programmes, à la logique « participationniste », dans le versant d’occupation, et à la logique utilitariste, dans le sens d’application à des tâches limitées par la division sociale du travail.

    L’opposition ne se situe donc pas véritablement entre savoir et compétence, mais entre les sens de ce que l’école nomme « compétences ». Les deux traductions de l’idée de compétences cohabitent, mais les réquisits scolaires implicites dans lessses portent surtout sur la première catégorie présentée.
    Cette distinction permet en particulier de comprendre sur quels types de pratiques de classes reposait l’opposition, fondée en grande partie, on va le voir, sur un malentendu, qui s’est manifesté au moment de l’introduction des compétences dans le système éducatif entre les tenants des savoirs et ceux des compétences. Cette opposition correspond à des conceptions différentes des élèves et de l’école : un sujet qui comprend grâce à des savoirs ou qui « fait » et dont la formation est centrée sur les résultats lisibles dans ces « faires » des élèves « dans l’indifférence aux processus […] et aux moyens d’y parvenir » (Rey, 2014). On peut ainsi trouver dans cette référence au « faire » qui sous-tend l’usage de la notion de compétences dans les apprentissages une des origines parmi les caractéristiques des classes contemporaines : l’activité permanente dans laquelle sont plongés les élèves, constamment en train de « faire » avec des documents, des questions, des fiches à remplir, constamment en train d’écrire pour faire (mais s’agit-il vraiment d’une activité d’écriture ?).

    Rey met ainsi en évidence le caractère central de la notion de situation, de celle de tâche, et il distingue les situations de nécessité, qui sont contraignantes pour la réussite de l’activité, et celles de simple obligation, ces dernières renvoyant à des normes et des jugements arbitraires – d’où les interprétations différenciées des élèves. Détaillons ces deux grands types de compétences dans les classes et leurs échos avec les définitions portées par les acteurs de la constitution des programmes.

    Différents niveaux d’activité derrière les « compétences »

    D’abord, l’élévation des exigences est identifiable dans l’articulation attendue entre savoir et compétence. Les savoirs académiques (auxquels peuvent s’adjoindre des savoirs culturels non scolaires), pour n’être plus entièrement la visée ultime des apprentissages mais « seulement » les soubassements des compétences à mettre en œuvre, restent néanmoins nécessaires à remobiliser17. Les savoirs sont moins centralement désignés dans les manuels et les dispositifs, ou le sont de manière ambiguë. En effet, ils sont souvent peu institutionnalisés, en apparaissant dans le « corrigé » de la séance en tant que « résultat » d’un exercice en ne les désignant par pour des savoirs d’un domaine disciplinaire : une part importante des élèves peut être leurrée, en ne percevant pas leur importance. Inversement, quand les savoirs sont désignés dans une optique plus proche des préconisations « conservatrices » des pratiques « magistrales », les élèves courent le risque de ne pas être entraînés à remobiliser ces énoncés de savoirs dans des situations moins standardisées. En effet, dans les réquisits auxquels les élèves font face sur l’ensemble de la scolarité, l’opposition entre les compétences et les savoirs s’estompe, les deux sont inséparables.

    Si, en écho aux définitions « anti-scolastiques », des compétences élevées sont attendues de façon transversale aux disciplines et aux leçons, contrairement à ce que ces discours affichent, les séances sont aussi bâties sur des savoirs disciplinaires.

    Notamment, l’une des compétences fréquemment requise consiste à « savoir analyser des documents », mais dans chaque discipline, « analyser des documents » implique une activité spécifique. En Lettres, il s’agit souvent d’interpréter un texte en référence à des concepts d’étude littéraire, d’éléments du contexte de création et d’autres œuvres. En Histoire la comparaison de deux cartes de France à plusieurs siècles d’intervalle s’inscrit dans un autre type de raisonnement, par exemple pour comprendre la construction du pouvoir royal sur les seigneurs féodaux. En SVT l’analyse de données s’inscrit encore dans une autre manière de penser, quand il faut confronter des données sur les températures, les précipitations et la végétation pour comprendre la notion de climat, etc.

    Mais il serait faux de penser que rien n’a changé, et que les compétences ne seraient qu’un artifice. En restant sur les exemples précédents, les élèves doivent articuler des documents écrits composites (Bautier & alii, 2012), c’est-à-dire avec une variété de types de textes différents (textes de savoir, descriptions, témoignages) et de systèmes sémiotiques (schémas, cartes, tableaux, images d’objets, etc.) qu’il faut chacun préalablement savoir décoder. Nombre d’élèves sont mis en difficulté par cet attendu implicite de mobilisation d’une compétence similaire dans différentes disciplines dans une visée chaque fois spécifique selon l’objet étudié dans un domaine de savoir.
    Face à ces difficultés, les supports et dispositifs pédagogiques adaptent souvent les exigences en focalisant l’attention des élèves sur des « compétences » procédurales plus simples.

    Par exemple, dans l’une des classes observées, un dispositif vise à faire automatiser le fait de savoir lire un tableau à double entrée. Cet apport méthodologique insiste sur la mise en correspondance des lignes et colonnes pour extraire des informations et comprendre leur tri dans le tableau. Mais il ne peut constituer un outil pertinent qu’à condition d’être articulé avec les enjeux de savoir disciplinaire de la leçon pour saisir en quoi ces informations prennent leur sens. De plus, les tableaux à double entrée, selon les disciplines et les leçons, ne sont pas à lire exactement de la même façon. Ainsi, dans cette classe, l’apport méthodologique a lieu dans une leçon de français, montrant que la mise en correspondance des lignes et colonnes permet de classer des mots selon leur nature, car les colonnes représentent des entités distinctes (nom, adjectif…), les colonnes n’ont pas à être comparées, ce qui n’est pas signifié aux élèves.

    Tandis que deux jours plus tard dans la même classe, en SVT, les colonnes d’un tableau à double entrée représentent les différents jours de l’observation de la taille du même animal, les cases juxtaposées doivent être comparées (soustractions successives) pour saisir la croissance. La procédure automatisée qui a été présentée en classe comme « aide méthodologique » et voulant répondre à l’objectif de maîtrise de la compétence « savoir lire un tableau », n’est donc pas transférable sans prise en compte des spécificités de l’objet étudié et de la manière dont la lecture des tableaux doit être adaptée entre les situations et disciplines. Elle n’est pas non plus exactement la même que « savoir lire un tableau » dans nombre de situations de la vie courante, comme le souhaiteraient les promoteurs de la logique « utilitariste », par exemple pour lire le classement des clubs d’un championnat sportif : le lecteur n’a pas à reporter dans le tableau des informations qu’il aurait prélevées par une expérience, et les relations entre lignes et colonnes fonctionnent autrement (par exemple, l’ordre des lignes n’est pas aléatoire, au contraire du tableau de SVT où l’ordre d’apparition des animaux dont on étudie la croissance est indifférent).

    Il est bien sur utile d’apprendre à lire des tableaux à double entrée, mais cela leurre les élèves quand on ne relie pas cette activité à des savoirs disciplinaires et à des types de situations entre lesquelles le transfert est loin d’être automatique.
    Un autre aspect de l’élévation des exigences tient à ce que les dispositifs pédagogiques sont marqués par la définition « participationniste » de l’élève, qui n’est pas née avec l’introduction des compétences mais que celle-ci a accru.
    Dans l’objectif de remédier aux difficultés de compréhension qui existaient face aux cours magistraux, ceux-ci avaient déjà en partie laissé place aux pédagogies actives, et à la volonté que l’élève « construise » lui-même le savoir dans les interactions des cours dialogués. Ces encouragements à mettre l’élève en activité ont été redoublés par l’introduction des compétences, qui a accru la conception d’un élève relativement auto-apprenant, qu’il suffirait de stimuler par la mise en situation. Cependant, le cadrage des situations est insuffisant pour réduire les interprétations différenciées selon le degré de connivence que les élèves entretiennent avec les exigences tacites de l’école. Car le « faire » dont il est implicitement question n’est pas une simple pratique formelle, ni une application de savoir ou de procédures. C’est un travail de compréhension lié à une élaboration textuelle par le langage – à l’écrit ou à l’oral, puisqu’il s’agit très souvent de formuler soi-même le savoir au terme d’une activité, de désigner les phénomènes sur lesquels les tâches attiraient l’attention sans les désigner justement pour que ce soit l’élève qui les identifie. L’école, en effet, repose sur la mobilisation et la construction par les élèves tout au long de leur scolarité de ces savoirs textualisés (Rey, 2014) et non sur des informations simples ou des connaissances (Astolfi, 1998).

    Nombre de manuels ou fiches demandent ainsi à l’élève, en « conclusion » des pages ou doubles-pages, de « rédiger » la leçon ou un résumé, d’argumenter à partir des constats partiels et d’informations prélevés dans les activités précédentes, comme si cette mise en mots et en textes, fréquemment sollicitée, était facilement et spontanément accessible. Or, elle ne fait pas l’objet d’un apprentissage explicite et systématique et elle engage des opérations difficiles : analyse de la situation, confrontations d’informations, déductions à mettre en forme en mobilisant des savoirs, formulation de connexions logiques, etc.

    La difficulté à se saisir des compétences requises dans ce « faire » est redoublée par une évolution simultanée : le niveau conceptuel des savoirs a fortement crû dans le primaire et le secondaire (alors même que se mettait en place la scolarité unique avec des objectifs égaux – Bonnéry & alii, 2015), appelant des compétences de compréhension des phénomènes et des processus plutôt que l’acquisition des faits. Par exemple, en histoire, en cours moyen, apprendre par cœur (pour éventuellement comprendre mais sans nécessité pour réussir les tâches) une version narrative de « La vie du temps de Louis XIV » a été remplacé par l’impératif de compréhension du concept de « Monarchie Absolue ». Et cette évolution vers une plus grande conceptualisation a été combinée avec les définitions « participationniste »et « utilitariste » des compétences. Il est en effet attendu de l’élève qu’il utilise les ressources et les savoirs qui sont en jeu dans les situations pédagogiques, pour mobiliser une réflexion sur le monde environnant. Par exemple, dans une leçon d’histoire sur la découverte de l’Amérique et les puissances coloniales, comprendre pourquoi certaines langues sont aujourd’hui parlées sur ce continent. Au motif d’une posture « anti-scolastique » contre les seuls savoirs scolaires, cette participation de l’élève implique qu’il circule entre raisonnements et savoirs scolaires d’une part, et, d’autre part, mobilisation d’un regard d’étude sur le monde, c’est-à-dire qu’il adopte une posture « scolastique » (Bourdieu, 1997) qui ne dit pas son nom : l’élève est invité à se saisir de ses connaissances personnelles (supposées) pour appréhender les situations pédagogiques, mais toutes les expériences connues selon les milieux sociaux ne sont pas aussi proches de ce que l’école suppose : il est de plus en plus requis de connaître, par exemple, des œuvres d’art et la pratique du tourisme, comme si cela relevait de l’évidence.

    Avec cette définition « participationniste », les dispositifs sont justement le plus souvent « à usages multiples », proposant une pluralité d’objectifs qui permettent à tous et à chacun de « faire », de façon individualisée, pour les uns avec ces exigences, pour d’autres de se limiter à des procédures simples permettant de parvenir à des constats partiels, disjoints des compétences exigées et des savoirs en jeu (Bonnéry & alii, 2015). Ainsi, dans l’exemple précédent, certains élèves voient-ils le cadrage de leur activité restreint à la coloration des zones parce qu’on leur dit que le vert et le bleu doivent être utilisés ici ou là, de façon relativement disjointe de la réflexion sur les langues parlées en Amérique, d’autres sont focalisés sur cette information des langues parlées aujourd’hui sans la relier aux savoirs historiques sur les rivalités entre puissances coloniales, tandis que la « tête de classe », socialement beaucoup plus connivente, circule entre ces niveaux d’exigence inégaux.

    Si le « faire » oriente peu l’activité de l’élève vers les attendus, c’est que l’introduction des compétences dans les classes a laissé dans l’ombre les moyens par lesquels doit s’opérer la construction (apprentissage) des ressources dans lesquelles l’élève devrait puiser. Les prescriptions des manuels comme les dispositifs observés montrent même une confusion entre les situations pour faire acquérir ces compétences et celles qui supposent des compétences acquises, des prérequis donc, pour qu’elles soient occasions de nouveaux apprentissages.

    Nous reprendrons ici à Bernstein (2007) l’origine de cette ambiguïté : l’idéologie des compétences est présentée comme généreuse, supposant la capacité de tous à les posséder et à pouvoir les mobiliser, comme si les situations suffisaient pour qu’elles se manifestent. De fait, l’idée de compétence, qui individualise l’apprentissage et essentialise l’interprétation des performances, comme un retour à l’idéologie des dons, encourage les enseignants à considérer les élèves comme « déficients » et donc responsables de leurs difficultés lorsqu’ils ne manifestent pas « spontanément » les compétences attendues. Contrairement à cette idéologie « spontanéiste » (Chamboredon & Prévôt, 1973), nos observations montrent que nombre des élèves, surtout lorsqu’ils proviennent des milieux populaires ne sont pas suffisamment familiarisés avec les compétences attendues pour s’en saisir et les consolider.

    L’introduction des compétences n’a donc pas créé le caractère implicite de l’enseignement et l’idéologie des dons individuels (Bourdieu & Passeron, 1964), mais elle a permis leur actualisation et celle du masquage des inégalités sociales en matière pédagogique. Comme cela a déjà été souligné dès les premières recherches sur le sujet (Ropé et Tanguy, 1994), cette individualisation de l’interprétation de la réussite et surtout de l’échec éventuel déresponsabilise l’institution, culpabilisant l’élève en le rendant auto-responsable de son propre parcours scolaire puis professionnel.

    Quand l’évaluation et le faire pilotent l’acquisition des compétences
    Nous venons d’identifier deux types de compétences présentes dans les programmes et dans les classes, et qui sont radicalement différentes. Celles qui sont en fait des procédures que l’on peut – que l’on doit – automatiser et celles qui, reposant sur la mobilisation à bon escient de savoirs textuels et de raisonnements cognitivo-langagiers qui les structurent, les mettent en relation. Les premières font souvent l’objet d’un enseignement explicite, de mises en situation « de nécessité » (voir supra), les secondes sont implicites, sollicitées plus qu’enseignées.

    Le manque de formation des enseignants dans le domaine de la formation à l’acquisition et à l’évaluation des compétences « complexes » reposant sur les savoirs textualisés a peu à peu conduit à des situations très contrastées selon les publics scolaires et les nécessités des évaluations. La multiplication des grilles et des livrets d’évaluation par compétences dès la maternelle, dans une logique fréquente d’autoévaluation, a conduit le plus souvent à centrer l’acquisition sur des compétences procédurales ou techniques ou ne mobilisant que des informations et dont l’évaluation relève de l’acquis ou du non acquis (A/NA sur les livrets), le « en voie d’acquisition » n’ayant que rarement des conséquences sur l’identification par l’élève et l’enseignant de ce qu’il faudrait encore acquérir. Une autre « dérive » provient dans cette même logique binaire et simplificatrice à segmenter les savoirs textualisés et conceptuels, les réduisant ainsi à des informations ponctuelles : c’est le cas évoqué précédemment quand l’enseignant, faute de voir comment faire autrement, délivre l’information sur les langues parlées dans tel ou tel pays d’Amérique, en abandonnant le lien entre cette information et l’explication des processus historiques qui expliquent cette situation. Les questions relevant de la mobilisation des compétences conceptuelles ou complexes sont alors principalement effectuées par les élèves ayant identifié la question en jeu, les savoirs à mobiliser et construire, ces compétences ne faisant au demeurant guère l’objet de l’enseignement à tous les élèves18.

    En effet, et c’est une des conséquences de la logique de compétence dans les situations pédagogiques, elle est en cohérence avec la conception actuelle des visées d’un enseignement qui valorise le développement des compétences de chacun, pensées comme étant individuelles et déjà là et non l’enseignement-apprentissage pour tous des compétences complexes requises pour comprendre.

    De ce point de vue, il y a une proximité avec les définitions « utilitaristes » des compétences dans le monde professionnel. Dans celui-ci, une partie des compétences est plus simple à décrire, et donc à acquérir et évaluer. Il en est ainsi des compétences professionnelles sollicitées dans tel ou tel poste de travail, évaluées dans l’activité elle-même et pouvant être acquises en situation, proche des « procédures » évoquées dans l’École, tandis que d’autres types de tâches sont attendues dans le monde professionnel, mais probablement davantage dans les niveaux d’emploi les plus élevés, correspondant davantage aux compétences complexes sollicitées à l’école.

    Conclusions

    Dans le cas de la France, l’introduction de la logique des compétences dans le primaire et le secondaire apparaît comme un catalyseur de logiques plurielles déjà présentes mais qui ont alors fait système, à la fois dans les programmes (du fait des jeux d’alliance de groupes d’acteurs) et dans les pratiques de classes (du fait de la polysémie de ce que recouvre le terme de compétences dans l’éducation). On observe d’abord une élévation des exigences quand les situations chaque fois nouvelles et complexes sollicitent des « compétences avec mobilisation » (Rey, 2014) où, contrairement aux discours ambiants, les savoirs disciplinaires ne sont pas absents mais moins donnés à voir : c’est à l’élève de les mobiliser simultanément à d’autres ressources (expérience personnelle, éclairage de tel aspect du monde, etc.).

    C’est la traduction des définitions « anti-académiques » qui voulaient que l’école serve non pas seulement à retenir des faits, mais à faire penser sur les situations de la vie professionnelle et sociale. Cette introduction est donc de nature à correspondre aux attentes de groupes sociaux fortement scolarisés depuis plusieurs générations, pour qui les exigences scolaires du passé semblent relever de l’évidence et d’une trop grande facilité.

    Ainsi, ces exigences sont très peu accompagnées, la logique des compétences reposant sur l’idéologie spontanéiste, d’où une ambiguïté entre les situations pour les faire acquérir aux élèves et celles qui les requièrent pour apprendre. De fait, les définitions « participationnistes » des compétences donnent surtout à voir le « faire » visible et donc évaluable dans les tâches, en masquant les enjeux sous-jacents de savoir et de réflexion pour ceux qui n’ont pas les prérequis. Ces tâches sont « à usages multiples », encourageant un dénivellement des exigences selon les profils sociaux des élèves, surtout quand restent prégnantes les traductions des définitions à la fois « conservatrices » et « utilitaires » des compétences : les élèves les moins connivents sont particulièrement focalisés sur des procédures simples et automatisables, ces dernières leur étant moins données à voir comme des outils pour appréhender des exigences plus élevées.

    L’introduction des compétences dans les programmes n’a pas créé de toutes pièces le renoncement à viser les mêmes objectifs avec tous les élèves de la scolarité unique. Mais en constituant, dans des situations en apparence partagées autour d’un « faire » ambigu, à la fois une élévation d’une partie des exigences, et une possibilité de réduction des sollicitations à des procédures simples, elle a constitué un catalyseur de la cohabitation de ces logiques.
    Ceci pourrait expliquer, avec d’autres raisons cumulées, le fait que les inégalités s’accroissent, les évaluations internationales montrant que le niveau des meilleurs élèves français progresse au cours des dernières décennies, celui des plus faibles régressant encore.

    Ces élèves « bons » et « faibles » ne se recrutent pas au hasard socialement. Les recherches montrent que ceux qui satisfont le mieux aux réquisits tacites des compétences exigeantes bénéficient d’une socialisation familiale plus proche de la culture scolaire. Pour ceux dont les parents ont suivi des parcours scolaires plus courts, l’écart est plus grand quand l’École ne crée par les conditions pour qu’ils construisent ces compétences et les savoirs.
    Bibliographie

    Des DOI (Digital Object Identifier) sont automatiquement ajoutés aux références par Bilbo, l'outil d'annotation bibliographique d'OpenEdition.
    Les utilisateurs des institutions abonnées à l'un des programmes freemium d'OpenEdition peuvent télécharger les références bibliographiques pour lesquelles Bilbo a trouvé un DOI.
    Astolfi (J.-P.), 1998, L’école pour apprendre, Paris, ESF.
    Bautier (É.), Crinon (J.), Delarue-Breton (C.) & Marin (B.), 2012, « Les textes composites : des exigences de travail peu enseignées ? », Repères, n° 45, pp. 63-79.
    Bautier (É.), Crinon (J.), Rayou (P.) & Rochex (J.-Y.), 2006, « Performances en littéracie, modes de faire et univers mobilisés par les élèves : analyses secondaires de l’enquête PISA 2000 », Revue française de pédagogie, n°157, pp. 85-101.
    Bernstein (B.), 1975, Classes et pédagogies : visibles et invisibles, Paris, CERI-OCDE, pp. 1-40. Rééd. in J. Deauvieau & J.-P. Terrail (éd.), Les sociologues, l’école et la transmission des savoirs, Paris, La Dispute.
    Bernstein (B.), 2007, Pédagogie, contrôle symbolique et identité, Laval, PUL.
    Bonnéry (S.) (dir.), 2015, Supports pédagogiques et inégalités scolaires. Études sociologiques, Paris, La dispute.
    Bourdieu (P.) & Passeron (J.-C.), 1964, Les héritiers, Paris, Éditions de Minuit.
    Bourdieu (P.), 1997, Médiations pascaliennes, Paris, Le Seuil.
    Caillot (M.), 1994, « Des objectifs aux compétences dans l’enseignement scientifique : une évolution de vingt ans », in F. Ropé et L. Tanguy, dir., Savoirs et compétences. De l’usage de ces notions dans l’école et l’entreprise, Paris, L’Harmattan, pp. 95-117.
    Chamboredon (J.-C.) & Prévot (J.), 1973, « Le métier d’enfant », Revue française de sociologie, vol. XIV-3, pp. 295-335.
    Clément (P.), 2012, « Le Conseil national des programmes (1985-1994) : l’institutionnalisation chaotique d’une entreprise réformatrice », Politix, no 98, pp. 85-107.
    Clément (P.), 2013, « Réformer les

    14-11-2017 om 20:18 geschreven door Raf Feys  

    0 1 2 3 4 5 - Gemiddelde waardering: 0/5 - (0 Stemmen)
    Tags:competentiegericht werken, competentie
    >> Reageer (0)


    Archief per week
  • 30/04-06/05 2018
  • 23/04-29/04 2018
  • 16/04-22/04 2018
  • 09/04-15/04 2018
  • 02/04-08/04 2018
  • 26/03-01/04 2018
  • 19/03-25/03 2018
  • 12/03-18/03 2018
  • 05/03-11/03 2018
  • 26/02-04/03 2018
  • 19/02-25/02 2018
  • 12/02-18/02 2018
  • 05/02-11/02 2018
  • 29/01-04/02 2018
  • 22/01-28/01 2018
  • 15/01-21/01 2018
  • 08/01-14/01 2018
  • 01/01-07/01 2018
  • 25/12-31/12 2017
  • 18/12-24/12 2017
  • 11/12-17/12 2017
  • 04/12-10/12 2017
  • 27/11-03/12 2017
  • 20/11-26/11 2017
  • 13/11-19/11 2017
  • 06/11-12/11 2017
  • 30/10-05/11 2017
  • 23/10-29/10 2017
  • 16/10-22/10 2017
  • 09/10-15/10 2017
  • 02/10-08/10 2017
  • 25/09-01/10 2017
  • 18/09-24/09 2017
  • 11/09-17/09 2017
  • 04/09-10/09 2017
  • 28/08-03/09 2017
  • 21/08-27/08 2017
  • 14/08-20/08 2017
  • 07/08-13/08 2017
  • 31/07-06/08 2017
  • 24/07-30/07 2017
  • 17/07-23/07 2017
  • 10/07-16/07 2017
  • 03/07-09/07 2017
  • 26/06-02/07 2017
  • 19/06-25/06 2017
  • 05/06-11/06 2017
  • 29/05-04/06 2017
  • 22/05-28/05 2017
  • 15/05-21/05 2017
  • 08/05-14/05 2017
  • 01/05-07/05 2017
  • 24/04-30/04 2017
  • 17/04-23/04 2017
  • 10/04-16/04 2017
  • 03/04-09/04 2017
  • 27/03-02/04 2017
  • 20/03-26/03 2017
  • 13/03-19/03 2017
  • 06/03-12/03 2017
  • 27/02-05/03 2017
  • 20/02-26/02 2017
  • 13/02-19/02 2017
  • 06/02-12/02 2017
  • 30/01-05/02 2017
  • 23/01-29/01 2017
  • 16/01-22/01 2017
  • 09/01-15/01 2017
  • 02/01-08/01 2017
  • 26/12-01/01 2017
  • 19/12-25/12 2016
  • 12/12-18/12 2016
  • 05/12-11/12 2016
  • 28/11-04/12 2016
  • 21/11-27/11 2016
  • 14/11-20/11 2016
  • 07/11-13/11 2016
  • 31/10-06/11 2016
  • 24/10-30/10 2016
  • 17/10-23/10 2016
  • 10/10-16/10 2016
  • 03/10-09/10 2016
  • 26/09-02/10 2016
  • 19/09-25/09 2016
  • 12/09-18/09 2016
  • 05/09-11/09 2016
  • 29/08-04/09 2016
  • 22/08-28/08 2016
  • 15/08-21/08 2016
  • 25/07-31/07 2016
  • 18/07-24/07 2016
  • 11/07-17/07 2016
  • 04/07-10/07 2016
  • 27/06-03/07 2016
  • 20/06-26/06 2016
  • 13/06-19/06 2016
  • 06/06-12/06 2016
  • 30/05-05/06 2016
  • 23/05-29/05 2016
  • 16/05-22/05 2016
  • 09/05-15/05 2016
  • 02/05-08/05 2016
  • 25/04-01/05 2016
  • 18/04-24/04 2016
  • 11/04-17/04 2016
  • 04/04-10/04 2016
  • 28/03-03/04 2016
  • 21/03-27/03 2016
  • 14/03-20/03 2016
  • 07/03-13/03 2016
  • 29/02-06/03 2016
  • 22/02-28/02 2016
  • 15/02-21/02 2016
  • 08/02-14/02 2016
  • 01/02-07/02 2016
  • 25/01-31/01 2016
  • 18/01-24/01 2016
  • 11/01-17/01 2016
  • 04/01-10/01 2016
  • 28/12-03/01 2016
  • 21/12-27/12 2015
  • 14/12-20/12 2015
  • 07/12-13/12 2015
  • 30/11-06/12 2015
  • 23/11-29/11 2015
  • 16/11-22/11 2015
  • 09/11-15/11 2015
  • 02/11-08/11 2015
  • 26/10-01/11 2015
  • 19/10-25/10 2015
  • 12/10-18/10 2015
  • 05/10-11/10 2015
  • 28/09-04/10 2015
  • 21/09-27/09 2015
  • 14/09-20/09 2015
  • 07/09-13/09 2015
  • 31/08-06/09 2015
  • 24/08-30/08 2015
  • 17/08-23/08 2015
  • 10/08-16/08 2015
  • 03/08-09/08 2015
  • 27/07-02/08 2015
  • 20/07-26/07 2015
  • 13/07-19/07 2015
  • 06/07-12/07 2015
  • 29/06-05/07 2015
  • 22/06-28/06 2015
  • 15/06-21/06 2015
  • 08/06-14/06 2015
  • 01/06-07/06 2015
  • 25/05-31/05 2015
  • 18/05-24/05 2015
  • 11/05-17/05 2015
  • 04/05-10/05 2015
  • 27/04-03/05 2015
  • 20/04-26/04 2015
  • 13/04-19/04 2015
  • 06/04-12/04 2015
  • 30/03-05/04 2015
  • 23/03-29/03 2015
  • 16/03-22/03 2015
  • 09/03-15/03 2015
  • 02/03-08/03 2015
  • 23/02-01/03 2015
  • 16/02-22/02 2015
  • 09/02-15/02 2015
  • 02/02-08/02 2015
  • 26/01-01/02 2015
  • 19/01-25/01 2015
  • 12/01-18/01 2015
  • 05/01-11/01 2015
  • 29/12-04/01 2015
  • 22/12-28/12 2014
  • 15/12-21/12 2014
  • 08/12-14/12 2014
  • 01/12-07/12 2014
  • 24/11-30/11 2014
  • 17/11-23/11 2014
  • 10/11-16/11 2014
  • 03/11-09/11 2014
  • 27/10-02/11 2014
  • 20/10-26/10 2014
  • 13/10-19/10 2014
  • 06/10-12/10 2014
  • 29/09-05/10 2014
  • 22/09-28/09 2014
  • 15/09-21/09 2014
  • 08/09-14/09 2014
  • 01/09-07/09 2014
  • 25/08-31/08 2014
  • 18/08-24/08 2014
  • 11/08-17/08 2014
  • 04/08-10/08 2014
  • 28/07-03/08 2014
  • 21/07-27/07 2014
  • 14/07-20/07 2014
  • 07/07-13/07 2014
  • 30/06-06/07 2014
  • 23/06-29/06 2014
  • 16/06-22/06 2014
  • 09/06-15/06 2014
  • 02/06-08/06 2014
  • 26/05-01/06 2014
  • 19/05-25/05 2014
  • 12/05-18/05 2014
  • 05/05-11/05 2014
  • 28/04-04/05 2014
  • 14/04-20/04 2014
  • 07/04-13/04 2014
  • 31/03-06/04 2014
  • 24/03-30/03 2014
  • 17/03-23/03 2014
  • 10/03-16/03 2014
  • 03/03-09/03 2014
  • 24/02-02/03 2014
  • 17/02-23/02 2014
  • 10/02-16/02 2014
  • 03/02-09/02 2014
  • 27/01-02/02 2014
  • 20/01-26/01 2014
  • 13/01-19/01 2014
  • 06/01-12/01 2014
  • 30/12-05/01 2014
  • 23/12-29/12 2013
  • 16/12-22/12 2013
  • 09/12-15/12 2013
  • 02/12-08/12 2013
  • 25/11-01/12 2013
  • 18/11-24/11 2013
  • 11/11-17/11 2013
  • 04/11-10/11 2013
  • 28/10-03/11 2013
  • 21/10-27/10 2013

    E-mail mij

    Druk op onderstaande knop om mij te e-mailen.


    Gastenboek

    Druk op onderstaande knop om een berichtje achter te laten in mijn gastenboek


    Blog als favoriet !


    Blog tegen de wet? Klik hier.
    Gratis blog op https://www.bloggen.be - Meer blogs