Les enjeux cachés de l« interdisciplinarité » au collège
Er is ook in Vlaanderen dringend een debat nodig omtrent de momenteel gepropageerde interdisciplinaire aanpak en competenties in de context van de nieuwe eindtermen/leerplannen.
Les enjeux cachés de l« interdisciplinarité » au collège
Avec Jean-Pierre Terrail, chercheur en éducation, GRDS (Groupe de recherches sur la démocratisation scolaire)
jeudi 12 novembre, à 18h30,
Présentation :
Lactuelle réforme du collège, censée entrer en vigueur à la rentrée 2016, introduit dans la charte des enseignements une « matière » nouvelle, ou plutôt de « nouvelles modalités denseignement », les EPI, enseignements pratiques interdisciplinaires. Ces EPI doivent être organisés autour de huit thématiques (développement durable, monde économique et professionnel, corps, santé et sécurité, citoyenneté, etc.) et elles devraient occuper pas moins de 20% du temps denseignement global, évidemment soustraits aux enseignements disciplinaires.
Si ce point de la réforme na pas fait lobjet de débat public, ce que lui reproche le SNES, il nen a pas moins fortement attiré lattention et suscité dhorizons divers nombre dinterventions vantant les vertus de linterdisciplinarité. Il semble au premier abord que la question soit proprement pédagogique, et cest bien ainsi que les promoteurs de la réforme et les thuriféraires de linterdisciplinarité la présentent. On peut cependant douter quelle soit seulement, ni même dabord, dordre pédagogique. Cela apparaît assez clairement pour peu que lon rapproche linterdisciplinarité des deux autres thématiques qui ont occupé le débat scolaire au long des quinze dernières années : la « formation des compétences », et les « éducations à ».
Si le projet dintroduire la formation des compétences dans lenseignement général, sur le modèle de lenseignement professionnel, émerge dès la fin des années 1980, il ne prendra vraiment corps quavec la loi Fillon de 2005 et la définition en 2006 du « socle commun de connaissances et de compétences ».
Largumentation de ses promoteurs sappuie sur le constat, ou lhypothèse, dun décalage entre les savoirs transmis par lécole et le savoir agir qui sera nécessaire au futur citoyen dans sa confrontation aux grands enjeux de la vie sociale et professionnelle. Le bagage scolaire ne peut donc se réduire à un empilage de savoirs académiques, lécole se désintéressant du savoir agir.
Si pour certains chercheurs la formation des compétences a partie liée avec lapprofondissement des savoirs disciplinaires, pour la majorité des experts dans les années 2000 il ne peut sagir que dune activité éducative spécifique, organisée à partir des enjeux de la vie pratique, et consistant à confronter les jeunes à des « situations-problèmes ».
Et pour certains même cest lensemble de lenseignement qui doit être réorganisé autour de ces enjeux, car « le savoir vaut par ce quil permet de faire » (B. Rey), et cest seulement en le posant comme tel quon peut donner du sens aux apprentissages.
À linstar de la rhétorique prônant « lapproche par compétences », la promotion des « éducations à » met en avant linsuffisance des savoirs scolaires sagissant de préparer les jeunes aux exigences de la vie sociale, la portée de largument étant renforcée là aussi par la référence aux considérations dEdgar Morin sur la complexité croissante du monde.
Si le souci chez les responsables nationaux que lécole adapte ses publics à lordre social et leur en inculque le respect est une constante historique, le chaos du monde et les menaces sur la planète favorisent aujourdhui la formation dun large consensus autour dune éducation scolaire spécifiquement sociale et morale. On passe ici du savoir-agir (les compétences) au devoir-agir. Mais le rôle de lécole est-il dinculquer des valeurs, au risque de subordonner la transmission des savoirs aux exigences de la vie pratique, ou de transmettre les connaissances à partir desquelles les valeurs peuvent se construire ?
Rapportées à la segmentation disciplinaire traditionnelle de lenseignement scolaire, la formation des compétences comme linstauration des « éducations à » soulèvent au premier chef la question de linterdisciplinarité, dont on ne saurait sétonner donc quelle occupe si ostensiblement aujourdhui le devant de la scène.
Pour certains intervenants, tel Edgar Morin, cest lensemble de la structuration disciplinaire de notre enseignement quil faudrait faire éclater, au profit de la formation chez les jeunes élèves de la « pensée reliante » qui serait seule à même de leur permettre dappréhender la complexité.
Ces nouveaux impératifs de la pensée pédagogique la formation des compétences, les éducations à, linterdisciplinarité recueillent lassentiment dune large partie des protagonistes des politiques éducatives. On trouve leurs partisans dans les organismes internationaux, parmi les responsables politiques de droite et de la gauche socialiste, au ministère de léducation nationale, dans les mouvements pédagogiques, dans une partie du mouvement syndical enseignant.
Comment a pu se former aussi vite un aussi large consensus autour de ces thèmes relativement nouveaux de la pensée pédagogique ?
Largument le plus récurrent avancé à lappui de leur promotion est celui de la nécessité de préparer les jeunes à la complexité des enjeux et des contraintes du monde actuel.
On peut lentendre, sachant les tensions dramatiques de la conjoncture historique. Ce nest pas la question posée qui fait problème, cest la réponse qui lui est apportée, et qui na, elle, rien dévident. Le monde est plus dur, plus complexe et il est urgent de mettre les jeunes générations en position de sen approprier les enjeux et de les affronter de façon avertie et démocratique ? Cest donc quil faut améliorer très sensiblement la transmission des connaissances et le niveau de formation des élèves, ce qui implique naturellement, ce que savent bien les responsables des filières dexcellence, une appropriation approfondie des savoirs disciplinaires.
Or ce nest pas du tout là la réponse avancée par les experts et les pédagogues attachés, eux, à faire sauter le « carcan disciplinaire » dont souffrirait notre système éducatif[1]. Leur posture ne séclaire quen regard du public scolaire visé.
Pour eux en effet les vertus quils prêtent à la formation des compétences et à linterdisciplinarité valent surtout pour les élèves issus des milieux populaires qui vont se retrouver massivement en difficulté à la sortie de lécole élémentaire.
« Ceux que lécole devrait mieux préparer à la vie, note ainsi Philippe Perrenoud, sont ceux qui sortiront du système éducatif sans avoir acquis le niveau de culture suffisant pour apprendre facilement à lâge adulte ce quils nauront pas acquis à lécole obligatoire. »[2] Les autres sauront convertir par eux-mêmes leurs connaissances en compétences pratiques. Et cela est vrai pour la formation des compétences comme pour les « éducations à », lesquelles ont dailleurs vocation à concerner essentiellement le collège, et certainement pas les filières dexcellence du lycée et de lenseignement supérieur.
Ce nest évidemment pas un hasard si ces débats pédagogiques ont surgi à chaque fois à loccasion de la définition dune formule donnée du « socle commun » (celle de la droite dabord, puis celle du PS), lequel socle définit les objectifs de scolarisation pour les élèves en difficulté.
Lagitation intellectuelle développée autour de la pédagogie des compétences et de linterdisciplinarité ne prend donc son sens que référée à son implicite, la politique du socle commun. Elle parle en réalité dautre chose que de pédagogie : de politique scolaire. Ce déplacement du politique vers le pédagogique a un double intérêt pour ceux qui en jouent le jeu.
Pour les élites dirigeantes, il permet de passer en douceur de la thématique de légalité des chances, qui nest plus crédible depuis que les flux de sortie du système éducatif se sont figés, au milieu des années 1990, à la thématique de lécole du socle, qui met en débat la façon dapporter le meilleur aux enfants du peuple, tout en faisant glisser la question des inégalités sous le tapis.
Pour les professionnels du monde éducatif qui restent attachés aux principes de la rénovation pédagogique des années 1970, ce déplacement permet de reprendre quelque vigueur (lapproche par compétences valorise lauto-formation des élèves ; les EPI sont appelés à privilégier les objets denseignement concrets et à pratiquer la pédagogie différenciée) ; tout en leur évitant davoir à défendre le bilan des quatre décennies de mise en uvre de ces principes.
On ne saurait évidemment conclure de ces observations critiques que la structuration actuelle des disciplines scolaires dans notre système éducatif ne saurait souffrir la moindre contestation. Mais on peut plaider pour que la discussion soit menée au grand jour et clairement référée à telle ou telle politique pour lécole.
Tout peut être légitimement objet de débat en matière de contenus denseignement quil sagisse de la place actuelle des différentes disciplines scolaires, de leurs rapports aux disciplines savantes, de la conception de leur enseignement, de la place à faire à de nouveaux enseignements, du rôle de lécole dans la formation des savoir-agir, etc. à condition que le contexte de la discussion soit bien précisé : a-t-on en vue le programme dune école fondamentale qui ne prend sens que pour ceux qui niront ni plus vite, ni plus loin, comme dirait Ph. Perrenoud ; ou celui dune école démocratique, qui sassigne comme objectif prioritaire lélévation massive des niveaux de formation et une réduction considérable des inégalités de réussite des apprentissages ?
Cette exigence de clarification des enjeux pédagogiques invite à revenir sur le terrain du politique, en posant la question que les débats actuels sur linterdisciplinarité refusent implicitement de poser : notre pays a-t-il besoin aujourdhui, a plus forte raison demain, dune éducation scolaire pour tous de haut niveau, une éducation qui ne vise pas dabord à inculquer des messages, mais à former des capacités instruites de réflexion et danalyse ?
[1] Lexpression est de C. Reverdy, « Éduquer au-delà des frontières disciplinaires », Note de Veille (Institut français déducation), n° 100, mars 2015.
[2] Philippe Perrenoud, Quand lécole entend préparer à la vie, op. cité, p. 19.
Voir également le site du GRDS et la présentation de la nouvelle saison du séminaire