Les réformes ? Parlons-en : « Depuis un demi-siècle, nous savons quun nombre impressionnant de ministres ont attaché leur nom à une réforme de lÉducation, comme une pierre que lon attache au cou de celui que lon veut noyer. On ne sinterroge jamais sur léchec cumulatif de ces mesures gesticulatoires. Les années passent, le bâtiment continue de senfoncer. Cela nempêche pas tout nouvel arrivant rue de Grenelle de reprendre la réforme par un autre bout, celui que son prédécesseur navait pas encore sinistré. La ressource est presque infinie, et à chaque fois, on tente de nous faire croire que celle-ci est la bonne et que lon va voir ce que lon va voir. Eh bien ! On ne voit rien du tout. »
Le résultat ne sest pas fait attendre. LÉcole est devenue aujourdhui un lieu « où les élèves, je devrais dire les usagers, ne rencontrent ni contrariété, ni contrainte, ni concurrence. » Dans les comparaisons internationales, la France obtient de piètres résultats : « Lindiscipline, larrogance, linsulte sont devenues les tristes spécialités de lÉcole française. La plupart des autres pays européens ne connaissent pas ce phénomène à une telle ampleur. Il est dû essentiellement à la dévalorisation du savoir dans lesprit des parents et, par conséquent, des élèves. » En résumé, « la principale fonction sociale de lÉcole à plein temps nest plus désormais la diffusion du savoir mais la garderie des enfants et lencadrement des adolescents. »
Depuis les années soixante, pédagogie rime avec idéologie. Un exemple ? « Lapprentissage de la lecture a été lobjet en France depuis près de cinquante ans dun véritable tournoi idéologique, où lefficacité des méthodes paraissait être oubliée au profit de considérations purement politiques. » Lefficacité, tout le monde sen fiche
Cest le triomphe du constructivisme pédagogique, qui préfère la découverte des notions à leur enseignement. Les néo-pédagogues, férus de pédagogie actives, de classes coopératives et autres élucubrations innovantes « commencent dans la popularité et finissent dans le mépris. » Ils ont oublié qu« à force de dire quil faut préférer une tête bien faite à une tête bien pleine, on finit par oublier quune tête vide nest pas une tête bien faite, cest une tête qui est entièrement à faire. » Quimporte ! Lessentiel est de faire semblant denseigner pendant que les élèves font semblant dapprendre : « Une telle École mérite à peu près autant de respect quun supermarché, et pour avoir cessé de se respecter elle-même, elle a cessé dêtre respectable. »
Cest bien cette École nouvelle qui a ouvert la voie à lesprit consumériste : « Lacte denseigner [cède] progressivement le pas au souci de satisfaire la clientèle. » Alors que dans une École digne de ce nom, et surtout de sa mission, « le professeur nest pas un détaillant. Les parents délèves ne sont pas des clients. Les élèves ne sont pas des usagers. Si lÉcole ne fait que reproduire le consumérisme de la société marchande, je le dis en pesant mes mots, il faut supprimer lÉcole publique. » Cest lobjectif des ultralibéraux : affaiblir tellement lÉcole publique quil viendra un jour où on pourra la supprimer afin de récupérer le marché juteux des écoles privées (voir du côté de SOS-Éducation).
En attendant cette fin peu glorieuse, la ministre actuelle celle de la réforme du collège nous parle dégalité des chances et, pour y parvenir, elle entend détruire les filières dexcellence. « Parlons clair. Je naime pas beaucoup cette République au rabais où la démission intellectuelle se déguise en misérabilisme social. Sous le prétexte de lutter contre lélitisme, on impose subrepticement à tous la même médiocrité, labandon de tout effort de dépassement de soi. Qui commande dans une ploutocratie ? Les plus riches. Qui commande dans une démocratie ? Les plus capables et les plus méritants. Sous prétexte de nier les inégalités dintelligence et de caractère, on abandonne la place aux plus fortunés. » Pour parvenir à légalité, « faudra-t-il demain que tout le monde se déplace en fauteuil roulant pour rétablir légalité des chances avec les handicapés ? »
Mais alors, faut-il en revenir à lÉcole dautrefois comme le suggèrent quelques grincheux ? Lauteur nous met en garde : « Jai bien conscience que lÉcole républicaine idéale (
) na jamais existé. Gardons-nous didéaliser le passé : il cesserait de nous servir. »
Rendre leur dignité aux enseignants, cest rendre service à lenseignement. Car « toute dévalorisation matérielle ou morale du statut de lenseignant est un attentat contre lenseignement lui-même. » Enseigner nest pas un métier comme les autres : « On enseigne avec son savoir, mais on enseigne dabord avec sa vie, avec son histoire individuelle ; on enseigne avec son corps, on enseigne aussi avec son âme. »
Lobjectif de lÉcole publique, depuis Condorcet, est de former les citoyens dont toute vraie démocratie a besoin pour exister : « Le peuple nest digne de sa souveraineté que sil est éduqué par les Lumières et la Science. »
Cest une mission essentielle qui devrait mobiliser la nation et ceux qui sont chargés de la conduire. Au lieu de cela, « lhistoire récente de lÉcole en France est jalonnée descarmouches légères qui débouchent sur des crises de nerfs généralisées, de projets de réforme, ambitieux et définitifs, qui se terminent en grossesses nerveuses. Et à la fin, rien. Ce qui sappelle rien du tout. »
Tellement vrai
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L'École est finie
Jacques JULLIARD
Flammarion (coll. Café Voltaire), 126 p
09/2015
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