Hervormingen voorbije decennia in Frankrijk hebben geleid tot niveaudaling & minder ontwikklelingskansen
..De aangekondigde hervormingen s.o. zullen die situatie enkel nog verergeren (Ook in Vlaanderen worden zo'n nefaste hervormingen van curriculum e.d. breed gepropageerd!)
La réforme du collège ou lavenir sombre de la société française mer, 11/11/2015 - 14:33 Prof. Nathalie Bulle (Sociologue, directrice de recherche au CNRS)
Basisidee: En suivant les idées qui sont dans lair du temps, depuis plusieurs décennies, lécole sest engagée inconsidérément sur la première voie : celle des objectifs minimaux, de labandon de leffort intellectuel et des apprentissages par les savoirs formels. Les réformes successives du collège, réalisées au nom des inégalités, ont, selon toute vraisemblance, directement contribué à leur accroissement
Vivra-t-on demain du tourisme organisé dans le musée France ou poursuivra-t-on dans la voie passée en faisant encore partie des premières puissances économiques et intellectuelles du monde ? Un pays de 66 millions dhabitants disposant de peu de ressources naturelles ne peut tenir un tel rang sil abandonne ses ambitions intellectuelles. Lalternative, pour notre politique éducative, est la suivante. Former des individus frustrés par lécole, simples utilisateurs des nouvelles technologies, consommateurs sans esprit critique, professionnels étroits, ou à tous niveaux des êtres humains et des professionnels accomplis, des concepteurs, aptes à assurer la prospérité de leur pays. En suivant les idées qui sont dans lair du temps, depuis plusieurs décennies, lécole sest engagée inconsidérément sur la première voie : *celle des objectifs minimaux, *de labandon de leffort intellectuel et des apprentissages par les savoirs formels. Les réformes successives du collège, réalisées au nom des inégalités, ont, selon toute vraisemblance, directement contribué à leur accroissement. Celle qui prendra effet à la rentrée 2016 radicalise un mouvement où laffaiblissement de la formation intellectuelle des élèves se conjugue avec la hausse des inégalités. De manière significative, elle engage un recul vertigineux des enseignements de type académique et une augmentation des différences entre établissements. Revenons sur quelques points majeurs de la réforme pour en rendre compte.
Laffaiblissement de la formation intellectuelle des élèves[1]
Les enseignements de type académique se caractérisent par la progressivité - ils vont du simple ou élémentaire vers le complexe - par leur caractère cumulatif - ils se construisent rationnellement sur des acquis antérieurs - leur caractère explicite et leur organisation structurée. Autant de caractères essentiels à la formation intellectuelle des élèves que la réforme du collège met en péril par trois types de mesures : * suppressions horaires, *suppressions pédagogiques et *déstructuration des programmes. *enseignements pratiques interdisciplinaires
La chute nette des horaires accordés aux différents enseignements représente environ 160 heures sur les quatre années du collège. Compte tenu des autres formes denseignement qui occuperont désormais une partie des heures dédiées aux des disciplines: laccompagnement personnalisé et les « enseignements pratiques interdisciplinaires », les élèves perdront près de 500 heures denseignement des disciplines en tant que telles sur les quatre années du collège. Les enseignements pratiques interdisciplinaires, notons-le, porteront sur lun des thèmes de travail prédéfinis,[2] et devront conduire à une réalisation concrète, individuelle ou collective. Ces « EPI », très consommateurs de temps, nont pas de vertu développementale. On leur attribue généralement une vertu motivationnelle, mais cette dernière doit être relativisée car la perte corrélative en matière de maîtrise conceptuelle a, de son côté, des effets motivationnels négatifs.
Par ailleurs, les programmes effacent des types de savoirs essentiels à la prise de recul et la formation de la pensée, ceux qui constituent la « grammaire » des disciplines[3]. Notons à ce sujet labandon de lenseignement méthodique de la grammaire en français, labsence de programme de littérature en sixième, labsence de référence aux genres et mouvements littéraires sur lensemble du collège ou encore leffacement de grands pans de lenseignement de la géométrie euclidienne en mathématiques. Revenons sur lexemple des mathématiques. La géométrie permettait de préparer les collégiens à lexercice de la démonstration, cest-à-dire à la recherche de preuves mettant en jeu intuition, éléments de savoirs, et élaboration dun raisonnement. Lenseignement de lalgorithmique qui vient, dans les horaires, sy substituer, est fondé sur linculcation de figures imposées, dont la systématicité, les faibles degrés de liberté quelles recouvrent, ont pour conséquence de solliciter peu les capacités créatives des élèves et, pouvons-nous avancer, dappauvrir leur potentiel dexpression et dinnovation.
Ajoutons que la réforme néglige très généralement les logiques de progression des acquis cest un travers des enseignements interdisciplinaires - en témoigne le projet de mise en application simultanée des nouveaux programmes, à la rentrée 2016, à tous les niveaux et pour toutes les disciplines. En témoigne encore la définition des programmes par cycles de trois ans sans repères annuels (sauf en histoire géographie et en mathématiques).
Dans cet ensemble de changements fondamentaux sur le plan pédagogique, la quasi-disparition de lenseignement des langues anciennes na rien danecdotique, même si un enseignement continuera dêtre prodigué, avec des horaires réduits de trois heures à deux heures, dans les établissements qui pourront se donner le luxe de le conserver, car les « EPI » nauront aucune vocation à développer une maîtrise des langues anciennes en tant que telle.
Laugmentation des inégalités entre établissements
Une seconde dimension fondamentale de la réforme est le mouvement quelle opère vers une différenciation interne accrue du système éducatif qui accentuera les inégalités entre les zones favorisées et les autres.
Laccroissement des inégalités sera tout dabord un effet direct de la marge de manuvre laissée aux établissements quant à la répartition des heures de cours par matière et par année, et quant aux sujets enseignés. De manière plus indirecte, cet accroissement des inégalités sera leffet de deux grands types de facteurs : la suppression formelle des sections sélectives et laugmentation de lopacité du fonctionnement du système éducatif.
Les sections internationales supprimées offraient lopportunité à de bons élèves des quartiers défavorisés de suivre des curricula exigeants. De telles différenciations pédagogiques internes aux établissements ne supposent pas nécessairement la constitution de filières étanches, et elles permettent une meilleure adaptation de loffre éducative aux besoins et aux aspirations de chaque élève. Rappelons que les études statistiques les plus élémentaires montrent que les différences de performances sont beaucoup plus importantes entre les élèves dun même établissement quentre les élèves de différents établissements.[4] Une flexibilité de loffre éducative est donc souhaitable, non pas au niveau des collèges, mais des individus, pour assurer notamment lexistence denseignements exigeants dans tous les quartiers de toutes les villes, et ce-faisant, contrer laccentuation des inégalités entre établissements et entre zones urbaines. Or, avec la réforme, en vertu denjeux résidentiels accrus, linfluence sur les chances scolaires des élèves, du capital économique et culturel des familles, augmentera de manière inéluctable.
Disciplines et libération de la pensée
Hannah Arendt[5] relevait au début des années cinquante la croyance un peu trop simple qui imprégnait lenseignement américain, suivant laquelle on ne peut savoir et comprendre que ce quon a fait soi-même, croyance qui engageait lécole à substituer, autant que possible, le faire à lapprendre. Cette croyance peut rendre compte aujourdhui de lévolution paradoxale de lécole qui prétend encourager la créativité et la compréhension, en se libérant des savoirs abstraits, et qui se centre sur linculcation de compétences ou de savoir-faire. En se privant progressivement des cadres disciplinaires, lenseignement finit par transmettre des recettes, à lencontre de ses objectifs affichés.
Les erreurs pédagogiques qui conduisent à la déstructuration de lenseignement des disciplines sont éclairées par le psychologue russe Lev Vygotski, père de lécole historico-culturelle. Vygotski montre en particulier comment labstraction opérée par les savoirs organisés sous-tend la prise de conscience et la pensée volontaire. Selon Vygotski, lintériorisation par lindividu doutils cognitifs médiateurs de la pensée (concepts, idées, savoirs, qui sont des construits sociaux développés en premier lieu dune manière externe à lindividu) implique la reconstruction de son activité psychologique sur la base de ces construits. Grâce à eux, la pensée humaine sélabore en agissant non pas sur le monde, mais sur elle-même.
Cette utilisation de moyens psychologiques artificiels, le passage à des activités de pensée médiates, change fondamentalement tous les processus psychologiques. Par exemple la parole communicative externe est intériorisée par lenfant pour devenir base de la parole intérieure. Evoquons une image à ce sujet, proposée par le linguiste Walter Ong[6]: « Ce nest quaprès limprimerie et une certaine expérience avec les cartes réalisées par limprimerie, écrit Ong, que les êtres humains, lorsquils pensaient au cosmos, à lunivers ou au « monde », pensèrent surtout à quelque chose de dessiné sous leurs yeux, comme dans un atlas imprimé moderne ». Lutilisation de mémoires externes a permis de détacher lesprit humain de ses représentations immédiates du monde, et a rendu le cumul des connaissances possible. Les facultés intellectuelles humaines en ont été décuplées.
Or cest lorganisation systémique, cest-à-dire sous forme hiérarchisée, des outils de pensée, ou encore cest la séparation des savoirs des disciplines,qui sous-tend les possibilités les facultés réflexives de la pensée consciente. Lexplication est, très brièvement, la suivante. La pensée de quelque chose suppose une généralisation. Cette généralisation suppose elle-même lexistence dun niveau supérieur qui permet dappréhender cette généralisation même dans la pensée. Cest pourquoi il revient au même de dire quun concept est conscient et de dire quil fait partie intégrante dun système organisé de concepts dans lesprit de lindividu: « Si la prise de conscience équivaut à une généralisation, il est parfaitement évident que la généralisation, à son tour, ne signifie rien dautre que la formation dun concept supérieur qui inclut dans son système de généralisation le concept donné en tant que cas particulier ».[7]
Lintériorisation doutils cognitifs organisés est à lorigine du développement de la pensée à un niveau supérieur de maîtrise, sous-tendant ainsi laction consciente et volontaire, ou encore, laction rationnelle et libre. Vygotski[8] fait référence à cet égard à lerreur commise en URSS par le système d'enseignement par « complexes » fondé sur les réalisations de projets thématiques et non sur une organisation des enseignement par disciplines. Les arguments pédagogiques partaient de lhypothèse fausse suivant laquelle lenseignement devait sappuyer sur les niveaux de développements déjà atteints par les élèves, cest-à-dire sur ce quils étaient capables de réaliser seuls. Les pédagogues, explique Vygotski, préconisaient en définitive de renforcer dans lesprit de lélève ce quil devait justement laisser derrière lui. Ils se référaient à ses capacités actuelles en négligeant sa possibilité de passer de ce quil savait faire à ce quil ne savait pas encore faire. Ils ne prenaient en définitive pas en compte la possibilité pour lenseignement de faire progresser le développement.
Au lieu de se fonder sur des activités « concrètes », et aller à cet égard du complexe (concret) vers le simple, lapprentissage intellectuel doit aller du simple, élémentaire, vers le complexe. Il doit permettre une intériorisation, ou encore une reconstruction individuelle, du savoir, au cours de laquelle ce dernier nest ni un simple contenu à apprendre, ni un outil pour agir, mais un support de signification, un outil intellectuel dynamique. Parce quils se développent sur la base de la construction dun maillage de concepts, les savoirs organisés, théoriques appellent naturellement des explications verbales, un enseignement explicite. Et parce que cet enseignement est explicite, il doit être élémentarisé et développé progressivement pour sappuyer sur les acquis des élèves et rester à leur portée. Ce que nous apprend tout particulièrement la psychologie de Vygotski, malheureusement dévoyée par la littérature de seconde main, cest que le processus dapprentissage scolaire est voué spécifiquement au développement des savoirs théoriques, et que ces savoirs engagent, à linverse des idées communes développées à leur sujet, une augmentation du potentiel dapprentissage et de compréhension.
De lefficacité des enseignements « académiques »
Les principes de la psychologie du développement évoqués précédemment sont cohérents avec ce que nous apprennent les études sur lefficacité de lécole. Les facteurs majeurs de la réussite des élèves incluent lexigence académique et les attentes élevées communiquées aux élèves.[9] Evaluer régulièrement leurs progrès et se montrer le plus transparent possible est aussi important, ce qui suppose une grande visibilité des règles de fonctionnement et des critères de réussite. La France est donc en passe daccentuer laction des facteurs mêmes de son échec.
En effet, la baisse drastique des performances des élèves, laugmentation des différences entre les meilleurs et les moins bons, et laugmentation de linfluence des facteurs économiques et culturels sur ces performances, observées par les enquêtes internationales, sont corrélées à la diminution des temps denseignement des disciplines, français et mathématiques notamment, à la mise en place des cycles dans lenseignement élémentaire, reportant en particulier les attentes du CP en fin de CE1; et à la diminution du caractère explicite, progressif et structuré des enseignements, de leur aspect académique même.[10]
Evoquons, à lappui de notre critique de lévolution pédagogique en France, une enquête[11] qui a consisté à mettre des caméras dans les classes de mathématiques de 4e, aux Etats-Unis, en Allemagne et au Japon pour observer les caractères de lenseignement dans ces pays. Cette enquête montre que, malgré les grandes différences pédagogiques qui peuvent exister entre les enseignants dans un même pays, ces dernières sont négligeables devant les différences culturelles qui caractérisent les systèmes éducatifs. Un commentateur écrit à ce sujet quau Japon, « il y a les mathématiques dun côté et les élèves de lautre. Le professeur est un médiateur entre les mathématiques et les élèves. » Ce dernier offre des explications, fait des liens entre les différentes parties du cours, discute les raisons dêtre des solutions des problèmes posés. Lenseignement est orienté vers la compréhension conceptuelle et les élèves sont sollicités pour résoudre des problèmes difficiles. En Allemagne, « il y a les mathématiques aussi, mais le professeur les détient et les transmet au moment voulu et à bon escient ; tandis quaux Etats Unis, poursuit le commentateur, « je vois les élèves, je vois le professeur, mais jai du mal à trouver les mathématiques. Je vois juste des interactions entre les élèves et les professeurs. » Tout contenu nest pas pour autant absent, explique-t-il, mais lenseignement est moins avancé et demande moins de raisonnement que dans les deux autres pays. Par manque de recul théorique, les apprentissages tendent à se focaliser sur des tâches étroites et procédurales. Aux Etats-Unis, lélève passe aussi beaucoup de temps à travailler seul ou en petits groupes, ce que cette enquête révèle être une source dappauvrissement de lapprentissage parce que privé inconsidérément de lapport substantiel de lenseignant.[12]
Lappauvrissement de la société française
Si les grandes hypothèses de la psychologie historico-culturelle sont, comme nous le pensons, justes, alors les évolutions pédagogiques que connaît notre système éducatif conduisent à fabriquer une démocratie moutonnière et non une démocratie participative. Cest un parti pris dangereux, car instable. Mais ce qui est préoccupant dans limmédiat, cest laggravation inéluctable de la fracture sociale. Lécole publique va continuer à saffaiblir, avec des différences en qualité accrues en fonction des secteurs géographiques et urbains. La société continuera de perdre confiance en son école, ce qui contribuera à la diminution de lattraction des carrières de lenseignement, et affectera encore la qualité des écoles et légalité des chances. Ces effets endogènes entraîneront de nouvelles rénovations délétères. Cest pourquoi de plus en plus de familles se détourneront de lenseignement public. Les modèles éducatifs alternatifs se multiplieront, la plupart se valant dans lordre de la médiocrité. Il est possible quà terme un nouveau modèle émerge, mais sans doute trop tardivement pour pouvoir assurer le maintien de notre position économique internationale et la qualité de notre modèle social.
La persévérance des réformateurs dans une voie qui, manifestement, conduit à laffaiblissement de la formation intellectuelle des élèves, à laugmentation de linégalité des chances et qui, à terme, engendre un appauvrissement de notre société, ne sexplique pas uniquement par des diagnostics erronés, perpétrés par desgouvernements successifs qui nont ni la mémoire du passé, ni la connaissance profonde du fonctionnement de lécole et qui, à court terme, ne subissent que la sanction de laspect politique des réformes. Lobjet profond de la réforme du collège est ailleurs. Au regard dun tel objet, les coups portés au développement intellectuel des élèves, à légalité des chances et à la prospérité générale, apparaissent comme des dommages collatéraux. Il sagit de linstitution dun nouvel ordre moral[13] sur lécole et, ce-faisant, sur la société française.
Nathalie Bulle
Sociologue, directrice de recherche au CNRS.
Article publié dans les Cahiers Français, n°389, septembre-octobre 2015, dans la rubrique "Débat"
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