Quest-ce qui ne va pas avec nos écoles (Wat
loopt er fout op onze Finse scholen) ? Entretien avec Maarit Korhonen (Finse
lerarares) (Men doet weinig of niets
voor de betere leerlingen, enz.) (Bijdrage in: Recherches en Education - n°16 - Juin 2013)
Auteur: Fred Dervin (prof. universiteit Finland)
Présentation : Maarit Korhonen est enseignante du primaire
depuis plus de trente ans. En août 2012, elle a publié un
pamphlet (boek!) intitulé Quest-ce
qui ne va
pas avec nos écoles
? (Koulun vika ? en finnois), dans lequel
elle raconte le quotidien
dans plusieurs écoles finlandaises
où elle a travaillé. Nous avons pu la rencontrer pour parler de son
livre.
Fred Dervin : La première question que jai envie de vous
poser, cest pourquoi avez-vous décidé décrire ce livre ? Quand lidée vous
est-elle venue ?
Maarit Korhonen
: Il
y a deux
raisons en fait. Dabord, jétais
fatiguée dentendre ce
que les médias racontaient sur lécole finlandaise et
sur le travail des enseignants. La deuxième raison est liée au fait que jai travaillé dans une
école très élitiste à Helsinki, Kulosaari, il y a deux ans. Javais décidé
dy travailler car je ne supportais
plus les
assistantes sociales et laccompagnement
des familles en difficulté, là où je travaillais. Je voulais enseigner, pas
jouer lassistante sociale, alors jai choisi la meilleure école en Finlande,
jai envoyé mes papiers et jai pu obtenir
un poste pour
un an.
Au début, jétais
choquée : je ne savais pas
quil y avait des
familles si riches en Finlande. Le matin, le père venait chercher ses enfants
en Ferrari et tout cet argent, tous ces gamins qui ont déjà pu faire le tour du
monde au moins une fois. Jarrivais dune
école à Turku où les enfants navaient même pas les moyens de sacheter
des bottes dhiver. Alors que là, ils
avaient tout. Certains avaient par exemple cinq maisons ! Mais ces gamins, ils nétaient
pas heureux. Jaurais pensé avant quils auraient été plus heureux que les
autres, mais javais tort. La plupart
était sous la pression des parents : il
leur fallait un 10/10 partout autrement les parents se mettaient en colère ! En
plus, les enfants avaient plein doccupations, des dizaines de hobbies à la sortie de lécole... et des
parents souvent absents de la maison. Je me demande toujours lesquels sont les plus heureux : les
« pauvres » ou les « riches ». Donc pendant mon année là-bas, je me suis dit :
il faut absolument que je publie un livre sur ça, sur ce contraste !
FD : Vous êtes lune des premières personnes à qui je parle
de léducation finlandaise et qui fait référence
aux classes sociales
MK : Quand je
parlais à ces gosses de
huit ans à Helsinki,
cétait comme si
je parlais à
des jeunes de
douze ans dans
lautre école à
Turku. Leurs connaissances
générales étaient épatantes.
Je pouvais aller
en profondeur durant
les cours de religion. Ça
cétait du vrai enseignement
! Je suis sûre que ces gamins iront très loin dans la vie. En plus, leurs parents
connaissent tout le monde ; ils ont dexcellents réseaux. Pourtant, je me
demande sils vont tous réussir car
il y a
beaucoup de pression
de la part
des parents. Jai
vu des enfants
souffrant danorexie, de dépression, déjà à huit ans !
FD : Donc la Finlande connaît bien le phénomène de la
reproduction sociale ?
MK : Bien sûr, ces parents ont de largent pour payer des cours
privés
FD : Il y en a en Finlande ?
MK : Si les enfants napprennent pas
par exemple, quand on
a commencé la première leçon de mathématiques
à Helsinki, un
élève ma dit:
« jai déjà fait
tout ça pendant
lété ». Il était excellent ! Jai donné moi-même des
cours privés
Il y a aussi des cours dété en Angleterre, aux Etats-Unis
en
bref, tout pour sassurer que leurs enfants seront docteurs ou avocats.
FD : Et ça sentend en finnois ? Je veux dire la classe
sociale ?
MK : Pas vraiment mais
par exemple, je suis assez inquiète
pour mes CM2 (2de jaar s.o.) cette
année. Le manque de vocabulaire en
finnois est effrayant. Jai utilisé par exemple le mot aukeama (diffuser) lautre
jour et je leur ai demandé sils le connaissaient. Ils mont dit que non. Donc
les mots de base leur
manquent. Dans les
endroits aisés, ils
nont pas ce
problème. Au contraire, ils connaissent des mots et expressions
soutenus qui métonnaient parfois.
FD : Jai lu récemment dans Helsingin Sanomat (journal
national finlandais) quun bon nombre de
parents commencent à « tester » les écoles avant dinscrire leurs
enfants. Cest vrai ?
MK : Sans aucun
doute. Pour mes
propres enfants, je
le ferais. Jappellerais le
proviseur pour lui demander si lenseignant est compétent par exemple
FD : Je vous arrête à nouveau, mais y a-t-il des profs
incompétents ici ?
MK : Nimporte qui peut travailler comme enseignant en
Finlande, comme remplaçant pendant un an je
veux dire, sans
avoir aucune qualification. Dans
mon école actuelle,
on avait une enseignante russe, compétente en Russie,
mais pas en Finlande. Elle parlait très mal le finnois. Et bien, elle a
enseigné le CE1 pendant un an et personne ne sest plaint.
FD : Cela veut-il dire quil y a une pénurie denseignants
comme en Angleterre ? MK : Non, je ne pense pas. Cest encore très difficile
dentrer dans les instituts de formation. Les
jeunes sont toujours intéressés par le métier. Les profs sont vraiment
respectés ici : durant les réunions avec les parents, tout le monde se tait et
écoute le prof comme sil était un prêtre !
FD : Jai fait mon
teacher training en Angleterre et là-bas les profs sont peu respectés à
mon avis. Les médias se moquent souvent deux
MK : On na pas ça en Finlande. Les gens vous respectent.
Parfois jutilise dailleurs mon statut de
prof. Par exemple, lautre jour, un gendarme ma arrêtée parce que je roulais
un peu trop vite, quand il
a appris ma profession, il
ma laissée partir
(Rires). Cest certainement
pourquoi beaucoup de jeunes
veulent devenir profs. Le respect.
FD : Dans de nombreux pays, personne ne veut devenir enseignant.
Ce qui métonne dans mon département à
Helsinki, cest le nombre incroyable de candidats pour lexamen dentrée,
surtout pour le primaire. Cest très
bien mais jai du mal à comprendre cet attrait
MK : Oui cest un bon métier
mal payé toutefois !
FD : Parlons à présent des migrants si vous le voulez bien.
Vous travaillez comme enseignante depuis trente ans en Finlande, vous avez
certainement pu observer de nombreux changements en la matière. Comment cela
influence-t-il votre travail ?
MK : Je ny prête même plus attention. Actuellement, jai
vingt-deux élèves dans ma classe dont huit « migrants », entre guillemets
FD : Pourquoi entre guillemets ?
MK : Ils sont
nés en Finlande
mais leurs parents
viennent de létranger.
Et pourtant, on
les appelle des immigrés, au moins durant les six premières années à
lécole. Surtout sils ne parlent pas
finnois à la maison, alors ce sont des « migrants ». Dans le cas de mes élèves,
ils parlent un finnois excellent et je dirais quils écrivent mieux que mes
élèves « finlandais ». Le seul problème avec les élèves « migrants », cest que
je dois les envoyer chez dautres enseignants parce quils sont « migrants ». Par exemple, lannée
dernière, je ne voyais certains gamins que trois heures par semaine au lieu de
vingt-deux heures.
FD : Ils allaient où exactement ?
MK : Ils avaient le finnois comme langue seconde pendant
quatre heures, la géographie avec un enseignant
qui leur expliquait
les mots difficiles, les mathématiques avec un enseignant spécialisé. Ils avaient aussi des
cours de langue 1, une heure par semaine.
FD : Ils ont le droit de refuser les cours de langue 1 ?
MK : Non, cest
obligatoire. Jai vérifié
avec le Ministère lannée dernière parce que javais
un problème avec un garçon qui se
plaignait. Il me répétait tout le temps quil ne parlait pas du tout le même type de kurde que son prof et quil
ny comprenait rien
Cest un véritable chaos ! Je crois que quelquun a
inventé ce système sans trop réfléchir
Il y a dix ans, on avait des élèves migrants, cest-à-dire
qui venaient vraiment
dailleurs et ne
parlaient pas un
mot de finnois,
il fallait donc leur apprendre.
Maintenant avec ceux qui sont nés ici et qui parlent finnois, on les traite de
la même façon. On a dix ans de retard ! Cest un système ridicule : les
proviseurs savent quils reçoivent plus
dargent quand ils
disent quils ont
50% de
migrants dans leurs
établissements. A mon avis, on devrait traiter ces enfants comme des «
Finlandais », les parents peuvent faire le reste avec la langue et la culture «
dorigine » !
FD : Vous navez
pas peur de passer pour
une « raciste » en
disant ça ? Je veux
dire que certaines personnes
pourraient vous accuser de faire preuve dassimilationnisme
MK : Je ne pense pas que
la langue et la
culture des parents
soient de la responsabilité de lécole.
On na pas
assez de ressources
pour soccuper des «
Finlandais ». Tout va pour
les « migrants » mais tous les enfants talentueux voire doués, on ne fait
rien pour eux. Par exemple, si un enfant
a des problèmes
en mathématiques, je
nai quune heure
supplémentaire par semaine
pour laider. Cest
ridicule car les «
migrants » nous demandent
tout le temps
sils peuvent aller dans les
classes « normales » avec les autres, sils peuvent étudier en finnois. On doit
leur dire non. Cest la loi
FD : Les parents se plaignent-ils de ce système ?
MK : Non, parce quils ne savent pas que ça marche comme ça.
Les parents des « migrants », eux, ne veulent pas de ces cours. Ils exigent
souvent que leurs enfants soient avec les autres. Les Russes par exemple.
Parfois, ça marche mais ça dépend du proviseur.
FD : Parlons un peu de PISA. Vous expliquez comment le
succès finlandais ?
MK : Pour moi, cest clair : cest une question de moyenne.
Tous nos élèves arrivent à atteindre le niveau minimal, qui pour moi est 8/10.
Jenseigne jusquà ce que tout le monde obtienne cette note. Mais
les plus doués nont aucune motivation, en fait, on ne soccupe même pas
deux.
FD : Que se
passe-t-il alors pour eux ?
MK : Rien.
Jamais rien. Ils
restent assis à
ne rien faire,
à attendre ou
bien lenseignant leur donne
du travail supplémentaire ou ils aident les autres. Les manuels ne vont jamais
très loin non plus. On devrait avoir des classes spéciales pour eux ou même des
établissements. Mais cest un tabou dans ce pays
FD : Mais cest
contradictoire car quand
on arrive à
luniversité, on doit
passer un concours
dentrée et seuls les plus talentueux peuvent y entrer
MK : On dit
souvent quau primaire et au collège, on na pas besoin de faire de différences
entre les élèves. Mais vous avez raison,
au lycée et à luniversité, cest très compétitif. Ma nièce, qui est
très douée par
exemple, na rien
fait pendant ses
années au primaire
et au collège
et pourtant sa moyenne était de
9,7/10 tout le temps. Quand elle est arrivée au lycée, cest là où elle a commencé à travailler.
FD : Bon, passons à lévaluation. Lune des idées qui
circulent sur léducation finlandaise, cest
quil ny en a pas
MK : Ah bon ? On évalue dès le CP
FD : Mais on ne donne pas de notes ?
MK : Bien sûr que
si
ça peut dépendre de lécole, je
crois. Dans mon école, on
donne des notes en finnois, mathématiques et anglais
jusquau CE2, puis dans toutes les matières. A
une époque, on avait abandonné lévaluation formative mais on y est revenus
rapidement (rires). Moi, jaime évaluer
car si on ne donne pas de notes, il me semble que le niveau baisse, on
narrive pas à contrôler
lapprentissage.
FD : Les parents se plaignent-ils parfois des notes ?
MK : Oui, surtout les plus « riches » (rires). A lécole où jenseignais à Helsinki, je me
souviens de la
première fois où
jai rendu des
notes. 8,5/10 était
la note la
plus basse. Deux ou
trois enfants se
sont mis à
pleurer car ils
sattendaient à obtenir
un 10
Jen
ai parlé avec
des parents qui
mont dit que
8 ne valait
rien. Une maman
ma même dit : « pour 8,
il suffit simplement de venir en classe, pas besoin de travailler. 10,
cest autre chose ».
FD : Cest très
intéressant ! Alors, pour
finir cet entretien,
vous pouvez me
dire ce que
vous aimez dans le système finlandais et ce qui vous déplait ?
MK : Dabord. Ce que jaime, cest le fait que les
enseignants finlandais reçoivent tous la même
formation et quils sont relativement compétents. Jai du mal à trouver
dautres choses là comme ça (rires).
FD : Et le fait que les repas sont gratuits du primaire au
lycée ?
MK : Ah oui,
ça cest mon
sujet préféré ! Oui,
cest bien que les élèves
puissent manger gratuitement,
mais jai du
mal à comprendre
que les parents
eux mangent pour
sept ou huit euros
pour le lunch
alors que, pour
leurs enfants, ça
coûte soixante-dix centimes
aux municipalités !
FD : Oui, mais enfin tous les parents ne peuvent pas se
payer un repas à sept ou neuf euros tous
les jours
MK : Je parle des parents qui travaillent et qui doivent
aller dans un restaurant ou une cafétéria. Bon mais peu importe
en tout cas, à
lécole, oui, cest bien quon leur offre ces repas car pour certains, cest le seul repas chaud de la
journée quils reçoivent. Quand même, je pense que la qualité de la nourriture est très mauvaise
surtout en termes de goût, parfois cest froid, il ny a pas assez pour tout le monde
Pour moi, cest
honteux ! Je conseille dailleurs aux enfants de prendre un petit sandwich avec eux car on
mange à midi et, entre 8 heures et midi, ils ont faim
FD : Autre chose que vous naimez pas ?
MK : Les manières des enfants. Ils ne disent plus bonjour,
je dois insister pour quils me saluent.
Même chose
avec les stagiaires
dans les instituts
de formation. Quand
je travaillais à
lécole normale de Turku, je ne
comprenais pas pourquoi par exemple les étudiants entraient dans nos classes avec
du café et des
gâteaux. Je les chassais !
Quant aux parents, jen
ai vu se faire insulter par leurs enfants dans les
conseils de classe. Je me souviens de cette fille de neuf ansqui narrêtait
pas dêtre vulgaire
avec sa mère,
elle lui faisait
du doigt, etc.
Elle la même
fait pleurer devant moi !
FD : Ah oui ?
MK : Oui, cétait un peu comme dans une comédie !
FD : Maarit Korhonen,
je vous remercie
davoir partagé vos
expériences sur lécole
primaire finlandaise.
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