Chaque année, les étudiants chiliens se mobilisent. Le mouvement de 2011 semble plus fort et plus entendu...
Camila Vallejo. Tant que le Chili sera un pays injuste et inégalitaire, les gens descendront dans la rue pour le dénoncer. Cela a toujours été la note dominante, même depuis la fin de la dictature. Depuis larrivée de Piñera au pouvoir, toutefois, lévidente défense du privé dans les services basiques du pays et lassaut de privatisations que le gouvernement a tenté de lancer dans le dos des acteurs sociaux, ont provoqué un mécontentement tel parmi les citoyens quil a débouché sur la mobilisation sociale la plus grande depuis les années 1980. Les contradictions entre ce que propose le gouvernement de droite et ce que les citoyens veulent défendre sont de plus en plus aiguës. Doù, la popularité très basse de lexécutif ces derniers mois.
Quattendez-vous du dialogue
avec le gouvernement ?
Camila Vallejo. Durant ces mois de mobilisation, nous avons été marqués par lintransigeance avec laquelle le gouvernement a défendu le modèle néolibéral qui prédomine dans léducation. En particulier, lorsquil sest montré prêt à exprimer son côté le plus violent et répressif. Après tant de manifestations de centaines de milliers de personnes, quil commence juste à vouloir faire respecter la loi (qui interdit le profit dans léducation NDLR) sonne comme un manque de respect. Ce mouvement mérite dêtre écouté. Et si le président nest pas disposé à céder par le dialogue, nous exigerons un référendum pour démontrer et faire respecter lopinion de la majorité.
Est-ce un avantage
ou un inconvénient dêtre face
à un gouvernement de droite ?
Camila Vallejo. Avec le gouvernement Piñera, le Chili a compris quil ny a rien de pire pour le peuple quun programme de droite. Difficile donc dy voir un avantage. Cependant, lassaut de privatisations et les graves erreurs du gouvernement comme la répression excessive et lintransigeance idéologique ont généré une plus grande émotion dans la population, fatiguée des privilèges de quelques-uns. Ceci nous a permis datteindre une participation historique aux manifestations et un soutien jamais vu auparavant. À linverse, les ferventes convictions néolibérales du gouvernement rendent les avancées et les possibilités daccord plus difficiles. De plus, cette droite est liée aux « propriétaires du Chili », cest-à-dire au secteur entrepreneurial et aux familles les plus riches. Elle dispose donc de la grande majorité des médias de masse, de linfluence des riches entrepreneurs, en plus des forces policières et militaires. Déjà en vigueur sous la Concertación (coalition de centre gauche, au pouvoir pendant vingt ans NDLR), cette situation est encore plus forte aujourdhui, car le mouvement effraie les plus privilégiés.
En 2006, la mobilisation étudiante avait obtenu une grande table de travail sur léducation. Mais, arrivés au Parlement, les projets de loi ont été vidés de leur substance. Comment éviter un échec similaire ?
Camila Vallejo. Même si les deux mouvements se ressemblent, de nouveaux éléments font aujourdhui envisager une issue positive. Dune part, malgré les efforts de la presse pour nous diviser ou détourner lattention de la population, nous bénéficions toujours dun très fort soutien et nos opinions comme dirigeants étudiants sont bien évaluées. Dautre part, même si cest en partie par opportunisme, la Concertación et ses parlementaires ont une posture plus proche de la nôtre que de celle de lexécutif. Enfin, nous nous préparons pour cette étape de dialogue. Nous avons exigé des garanties (débats télévisés, gel des projets de loi sur léducation lancés au Parlement notamment), pour que le dialogue ne se transforme pas en un accord de coalitions politiques en catimini. Surtout, nous continuerons à manifester.
Vous faites partie des Jeunesses communistes. Quelle influence
a cet engagement sur votre travail
de leader et sur le mouvement ?
Camila Vallejo. Une grande partie de la dirigeante que je suis aujourdhui vient de la militante dhier. Ma formation politique, la discipline et le soutien de nombreux camarades engagés me permettent de réaliser mon travail avec clarté et tranquillité. Sans eux, ce serait impossible. Par ailleurs, la lutte de ce mouvement est aussi la lutte de ma jeunesse. Jendosse cette cause en tant que représentante des étudiants de lUniversité du Chili, mais cest aussi par conviction personnelle que je me bats pour rétablir léducation publique dans mon pays.
En plus décrire sur votre rôle à la tête du mouvement, des médias ont évoqué votre physique, vous qualifiant de « belle rebelle », voire de « leader sexy ». Quelle est votre réaction ?
Camila Vallejo. Cela répond au machisme qui, malheureusement, caractérise encore notre société. Mais je crois aussi quà cette occasion, nous apprenons quelque chose des capacités des femmes, et jespère que nous pourrons avancer en matière de discrimination sexiste. Pour que cette situation ne devienne pas juste une anecdote de mauvais goût derrière lhistorique mobilisation de cette année.
Entretien réalisé par Lucile Gimberg