« Journal des Débats politiques et littéraire » 18 novembre 1828
AU RÉDACTEUR.
Monsieur,
La sagesse et l'amour du vrai qui distinguent votre Journal et la réputation bien méritée dont il jouit en France et à l'étranger, me font espérer que votre obligeance voudra bien accorder une place, dans votre prochain Numéro, à des observations que je livre au public dans l'intérêt de la raison et de la vérité.
Les papiers français et anglais ont dernièrement annoncé le projet singulier d'un M. Noha, qui s'annonce comme le fondateur de la ville Ararat dans les Etats-Unis de l'Amérique septentrionale. Certes, M. Noha étant, comme ou le suppose propriétaire ou concessionnaire d'une grande étendue de terres incultes, se bornoit à engager les hommes sans fortune à courir la chance coloniale, en leur promettant des monts d'or, personne ne penseroit à lui contester le rang que la mode a mis en grande vogue, celle de faiseur de projets ; M. Noha vise à jouer un rôle bien plus élevé; il rêve une mission céleste, il parle prophétie, il se qualifie juge en Israël, il donne des ordres à tous les Israélites du monde, il lance une taxe sur toutes les têtes hébraïques; il va jusqu'à faire, dans son exaltation, du consistoire central Israélite de France, son chargé d'affaires, et à lentendre, le président de cette administration seroit honoré du noble emploi de commissaire d'émigration. Le tout va à merveille, ce qui manque se réduit à peu de chose : 1°. La preuve bien établie de la mission et de l'autorité du sieur Noha; Le texte de la prophétie qui auroit désigné un marais de l'Amérique septentrionale comme point de réunion pour y rassembler les restes dispersés d'Israël.
Pour parler sérieusement, il est bon de faire comprendre à M. Noha que les vénérables MM. Hierschel et Meldola , chief rabbis à Londres, et moi, nous le remercions en refusant nettement la nomination dont il s'est plu à nous gratifier; nous déclarons que d'après nos dogmes, Dieu seul connoît l'époque de la restauration israélite, que lui seul la fera connoitre a l'univers entier par des signes non équivoques, et que toute tentative de rassemblement ayant un but politico-national nous est défendue comme crime de lèse-autorité divine (1) M. Noha a oublié sans doute que les Israélites, fidèles aux principes de leur croyance, sont trop attachés aux pays où ils sont établis et dévoués aux gouvernements chez lesquels ils trouvent liberté et protection, pour ne pas regarder comme un conte à faire rire, le consulat chimérique d'un pseudo restaurateur.
Cependant comme l'équité exige quelque ménagement en faveur des absens, nous aurions de la peine à lui refuser le titre de visionnaire de bonne foi.
Agréez, M. le Rédacteur, l'assurance de mes sentimens distingués et très respectueux.
Votre très humble serviteur,
Le Grand-Rabbin de COLOGNA
(1) Talmud Traité Ketouboth fol. CXI
Note de la rédaction : Voici donc un document historique, opposé au sionisme religieux, qui devra faire plaisir à Messieurs les Rabbins consistoriaux de France.
Abraham Vita de Cologna (1754-1832) : http://www.genami.org/Personnages-celebres/fr_Cologna-B.php
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