Courrier des amis
Antisémitisme & antisionisme:
une assimilation absurde dans le monde arabe
Au Proche-Orient, cest le sionisme et plus largement la politique israélienne qui ont fait le lit de lantisémitisme
Cest un débat qui se joue en France mais qui est suivi avec attention de lautre côté de la Méditerranée.
Emmanuel Macron a annoncé mercredi (20.02.19) vouloir intégrer lantisionisme dans le sens de la négation du droit dIsraël à exister à la définition juridique de lantisémitisme. Le président français considère que «lantisionisme est une des formes modernes de lantisémitisme», alors que les actes antisémites en France étaient en hausse de 74% en 2018 par rapport à lannée précédente [selon un rapport qui omet d'indiquer qu'ils sont en très nette diminution comparés aux années 2014 et 2015 et très en-deçà d'innombrables actes islamophobes-ndlr].
Plusieurs voix critiques ont fait remarquer que cela pouvait conduire à des incohérences la plus absurde étant dêtre amené à considérer certains Juifs antisionistes comme des antisémites et à créer une confusion entre une idéologie politique et une identité religieuse.
Cela revient aussi à faire le jeu du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, pour qui les deux termes sont indissociables, et à donner limpression quil nest pas permis en France de critiquer la politique israélienne, même si ce nest pas du tout le sens de linitiative présidentielle.
Vue du monde arabe, lassimilation entre ces deux termes apparaît pour le moins inadaptée. Si lantisionisme peut parfois, comme en Europe, cacher des relents dantisémitisme, cest bien le sionisme qui apparaît comme la cause première de la montée de lantisémitisme, et non linverse.
Lantisémitisme est un terme inventé au XIXè siècle pour évoquer la discrimination à légard des populations juives au sein des sociétés européennes. Outre largument un peu simpliste que les Arabes sont eux-mêmes un peuple sémite, la notion na pas vraiment de sens dans le contexte arabe.
Malgré un statut particulier les empêchant, à linstar des chrétiens, daccéder aux hautes fonctions politiques et administratives, les Juifs étaient bien intégrés au sein des sociétés arabes et nont pas subi de persécutions comparables à ce quont pu être les pogroms en Europe.
«La communauté juive a connu un moment de gloire et de puissance à lépoque ottomane, notamment lors de larrivée massive des Juifs chassés dEspagne», note Henry Laurens, professeur au Collège de France et titulaire de la chaire dhistoire contemporaine du monde arabe, interrogé par LOrient-Le Jour.
«Avant la déclaration Balfour et tout ce quelle entraînera par la suite, les Juifs sont une communauté parmi dautres dans le monde arabe, qui, depuis lère ottomane en particulier, a été organisée sur une base communautaire», confirme à LOLJ Gilbert Achcar, professeur à la School of Oriental and African Studies (SOAS, University of London), auteur dun ouvrage sur 'Les Arabes et la Shoah: la guerre israélo-arabe des récits' (2013).
Dégradation continue
La diffusion des thèses sionistes développées par lintellectuel autrichien Theodor Herzl va peu à peu changer la donne jusquau tournant de la création dIsraël en 1948, véritable choc pour les populations arabes.
Au début du XXè siècle, les populations locales ne font pas nécessairement la distinction entre Juifs et sionistes, le second terme nétant pas encore véritablement assimilé.
«Les habitants de la Palestine historique avaient lhabitude de désigner les Juifs comme Juifs. Certains étaient sionistes, mais beaucoup ne létaient pas. Ils étaient pour la plupart des Juifs religieux et a-sionistes ou antisionistes», décrit à LOLJ Tarek Mitri, ancien ministre et directeur de linstitut détudes politiques Issam Farès de lAUB.
«Les Arabes ont dabord connu le sionisme de façon indirecte, en lisant la presse européenne. En Palestine, les premières réactions ne sont pas nécessairement négatives, mais les choses changent à partir de la déclaration Balfour, et le sionisme est progressivement considéré comme un danger pour les Palestiniens dune part, et pour les Arabes du Proche-Orient dautre part. Cela conduit à une dégradation continue de la situation des communautés juives du Proche-Orient à partir des années 1930», dit Henry Laurens.
Les relations se compliquent à mesure que limmigration juive saccélère en raison de la répression dont ils sont victimes en Europe.
«Dans les discours, il y avait une distinction entre les Juifs et les mouvements sionistes. Dans la pratique, ce qui inquiétait particulièrement les Arabes, cest le fait de voir une communauté parmi dautres se doter dun territoire, de passer de la communauté à la nation», note Henry Laurens.
Dans les années 1930 et 1940, cest lhistoire européenne qui rencontre frontalement celle du Proche-Orient, de façon encore plus brutale après lholocauste et jusquà la création de lÉtat hébreu. Durant cette période, le grand mufti de Jérusalem Hajj Amine al-Husseini qui nétait toutefois pas représentatif des Palestiniens va collaborer avec lAllemagne hitlérienne, au départ pour contrecarrer les projets anglais détablissement dun foyer Juif, jusquà approuver sa politique génocidaire contre les Juifs.
Cet épisode va être largement instrumentalisé par la propagande israélienne pour démontrer un soi-disant antisémitisme arabe, au point que Benjamin Netanyahu va même aller jusquà présenter le mufti comme linspirateur de la solution finale.
Complotisme et négationnisme
La création de lÉtat hébreu va profondément changer les rapports entre les Juifs et les autres communautés dans le monde arabe. Si, pour les sionistes, laboutissement du projet étatique est avant tout le fruit dune volonté collective de plusieurs décennies, il apparaît aux yeux des Arabes comme une injustice liée à un génocide dont ils ne sont en aucun cas responsables.
Les Juifs du monde arabe naccueillent pas forcément avec enthousiasme la naissance dIsraël. «Les communautés juives du monde arabe, surtout dÉgypte et dIrak, nétaient pas vraiment tentées au début par la migration vers la Palestine. Mais il y a eu deux facteurs qui ont encouragé ce mouvement. Dune part, la politique israélienne qui a tout fait pour les attirer, au point que le Mossad a organisé des attentats contre des synagogues pour leur faire peur. Dautre part, il y a une méfiance arabe qui sest installée et qui faisait que les Juifs pouvaient être perçus comme une sorte de 5è colonne», explique Tarek Mitri.
Après la proclamation de lindépendance dIsraël par David Ben Gurion, lantisionisme va devenir dominant dans le monde arabe. Le sionisme apparaît comme un projet colonial avalisé par les puissances occidentales visant à déposséder les Arabes de leurs terres.
La distinction devient très nette dans les discours entre Juifs et sionistes. «Dans leurs discours, Nasser ou Arafat ne font pas damalgame entre sioniste et Juif, bien au contraire. Au début de son combat, le projet politique d'Arafat était dinstaurer un débat laïc et démocratique en Palestine où Juifs, chrétiens et musulmans coexisteraient», explique Tarek Mitri.
Le double sentiment dinjustice et dhumiliation que les Arabes ont vis-à-vis de lÉtat hébreu va toutefois être le moteur dun antisémitisme qui va avoir un certain écho au sein des classes populaires arabes où le terme Juif est parfois utilisé comme une insulte et va être largement relayé par les mouvements islamistes.
Cela va être particulièrement visible à travers la propagation de deux phénomènes intimement liés: le complotisme et le négationnisme. «Les théories du complot qui sont dans le discours antisémite occidental ont pu facilement trouver un public dans le monde arabe, parce que, de fait, cest une région qui a connu de vrais complots, à commencer par les fameux accords secrets Sykes-Picot», constate Gilbert Achcar.
Lidée complotiste des protocoles des sages de Sion, qui attribuent aux Juifs des plans de domination du monde, est largement répandue au sein du monde arabe. «Chez les islamistes, il y a eu un moment où on a ressuscité une vieille littérature parareligieuse qui ridiculise et avilie les Juifs. Ils puisent dans les textes sacrés ce qui est de nature à susciter la méfiance ou même la haine à légard des Juifs», note Tarek Mitri.
Le négationnisme concernant lholocauste trouve aussi ses adeptes, même sils restent minoritaires. Dans un article publié en 1998 dans le Monde diplomatique, le grand intellectuel palestino-américain Edward Saïd sindignait que «la thèse selon laquelle lholocauste ne serait quune fabrication des sionistes circule ici et là. Pourquoi attendons-nous du monde entier quil prenne conscience de nos souffrances en tant quArabes si nous ne sommes pas en mesure de prendre conscience de celles des autres, quand bien même il sagit de nos oppresseurs?» ajoutait-il non sans une certaine verve.
«La plupart des gens qui ont un peu de culture savent que la shoah nest pas une invention, mais un certain négationniste a pu trouver un écho favorable chez les gens étroits desprit, quils soient ultranationalistes ou intégristes», dit Gilbert Achcar.
Ce dernier insiste toutefois sur le fait quil ny a pas dantisémitisme propre au monde arabe, mais que la diffusion des thèses antisémites dans cette région nest pas comparable à ce qui se passe en Occident. «Toute léquation entre le monde occidental et le monde arabe est complètement faussée par le fait que les Juifs étaient opprimés pendant des siècles en Europe, tandis que dans le monde arabe, ce quon peut qualifier de haine envers les Juifs est surtout le produit dune histoire moderne marquée par la présence dun État oppresseur, qui insiste lui-même à se faire appeler État Juif», résume Gilbert Achcar.
Et Tarek Mitri de conclure, pour insister sur la nécessité de distinguer les deux termes dans le monde arabe: «Il y avait une résolution de lAssemblée générale de lONU en 1975 qui disait que le sionisme était une forme de racisme et de discrimination. Elle a été révoquée en 1991, mais elle avait suscité un grand enthousiasme dans le monde arabe».
Caroline Hayek & Anthony Samrani - 23.02.19 Source: OLJ Posté par MCPalestine
Photo : Manifestation antisioniste à Jérusalem, Porte de Damas, 8 mars 1920 (Wikipédia)
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