Le Plan de partition des Nations Unies de 1947 va proposer une autre solution. Alors que la Commission Peel proposait que les terres privées et publiques soient volées et que le peuple soit expulsé, le plan de partition de lONU proposait uniquement de partager la Palestine mandataire entre les colons Juifs et les autochtones palestiniens, en donnant aux colons qui constituaient alors moins dun tiers de la population plus de la moitié de la terre.
Et contrairement à la Commission Peel, le plan de lONU interdisait explicitement la confiscation des terres privées et lexpulsion des populations. Les sionistes ont accepté le plan de partition de lONU, mais ils ont violé tous ses préceptes en faisant comme sil sagissait du plan de la Commission Peel ratifié par lONU.
Le Plan de partition de lONU était en fait une proposition non contraignante qui na jamais été ratifiée ni adoptée par le Conseil de sécurité et na donc jamais acquis de statut juridique.
Néanmoins, il est important de se pencher sur le sens exact que le plan donnait aux expressions « État Juif » et « État arabe » parce quIsraël utilise ce document pour justifier son établissement et exiger que les Palestiniens et le monde entier reconnaissent son droit dêtre un « État Juif », plutôt que lÉtat israélien de tous ses citoyens.
Le plan stipule clairement quil ny aura « aucune discrimination daucune sorte entre les habitants sur la base de la race, de la religion, de la langue ou du sexe » et qu' »aucune expropriation de terres appartenant à un arabe dans lEtat Juif (ou à un Juif dans lEtat arabe)
. ne sera autorisée, sauf à des fins dintêret publique ». Dans tous les cas dexpropriation, lintégralité de lindemnité fixée par la Cour suprême sera versée avant la dépossession. ».
Lorsque la « Déclaration dindépendance de lÉtat dIsraël » a été publiée le 14 mai 1948, les forces sionistes avaient déjà expulsé environ 440 000 Palestiniens de leurs terres et ils allaient en expulser 360 000 de plus dans les mois suivants.
Il sensuit clairement que les efforts dIsraël pour établir un État à majorité démographique Juive, au moyen du nettoyage ethnique, nont rien à voir avec le Plan de partition des Nations Unies, mais tout à voir avec les recommandations de la Commission Peel.
La manière dont Israël sautoproclame État Juif nest pas non plus conforme au Plan de partition des Nations Unies, en ce sens que cest un État qui privilégie les citoyens Juifs par rapport aux citoyens non-Juifs sur le plan racial et religieux, légalement et institutionnellement.
Le plan de partition des Nations Unies sur lequel Israël se fonde prévoyait au départ un État Juif à majorité arabe (cela a ensuite légèrement modifié pour inclure une population arabe de 45 %). Le plan na donc jamais envisagé un État Juif sans aucun arabe, ou Araberrein, comme lÉtat israélien lavait espéré et comme de nombreux Juifs israéliens lespèrent encore aujourdhui.
En effet, comme la Palestine était divisée en 16 districts, dont neuf étaient situés dans lÉtat Juif prévu, les arabes palestiniens étaient majoritaires dans huit des neuf districts.
Nulle part dans le plan de partage de lONU lutilisation du terme « État Juif » nautorise le nettoyage ethnique ou la colonisation par un groupe ethnique des terres privées confisquées à un autre groupe ethnique, dautant plus que le plan voyait les arabes dans lÉtat Juif comme une grande « minorité » perpétuelle et lemploi de ce mot même garantissait aux Palestiniens les droits qui doivent être accordés aux minorités dans tous les États.
Par contre dans lÉtat arabe, le plan de lONU prévoyait quil ny aurait quune population Juive de 1,36 %.
Le mouvement sioniste a compris le parti quil pouvait tirer de cette contradiction du plan de Partition et il a entrepris dexpulser la majorité de la population arabe de lÉtat Juif prévu, conformément aux recommandations de la Commission Peel. Mais les sionistes nont pas réussi à rendre létat Araberrein, ce qui a compliqué les choses pour eux au fil du temps.
Aujourdhui, environ un cinquième de la population dIsraël est constituée darabes palestiniens qui subissent une discrimination légale et institutionnalisée en tant que non-Juifs.
Les sionistes, y compris léminent historien israélien Benny Morris, soutiennent que cest la présence même darabes dans lÉtat Juif qui loblige à édicter des lois racistes. SI Israël avait réussi à chasser tous les palestiniens, la seule loi qui serait nécessaire pour préserver le statut des Juifs serait une loi sur limmigration. (Voir mon débat avec Morris dans History Workshop Journal et dans mon livre The Persistence of the Palestinian Question.)
Mais contrairement au plan de partition de lONU, Israël entend par « État Juif » lexpulsion dune majorité de la population arabe, le refus de laisser les refugiés revenir dans leur pays, la confiscation des terres palestiniennes pour la colonisation exclusive des Juifs, et ladoption de dizaines de lois discriminatoires à lencontre des Palestiniens qui sont restés dans le pays.
Quand Israël exige aujourdhui que lAutorité palestinienne et les autres États arabes reconnaissent son droit dêtre un État Juif, cela ne signifie pas quils doivent reconnaître sa judéité de la manière dont le plan de partage de lONU lenvisageait, mais plutôt de la manière dont Israël comprend et applique cette définition sur le terrain.
Le plan sioniste pour pérenniser la Nakba na pas changé depuis la recommandation de Herzl. Si le rapport de la Commission Peel a constitué la première approbation de ce plan par un gouvernement occidental, ce nétait pas du tout le cas du plan de partition de lONU. Dans ce contexte, la Nakba infligée aux Palestiniens allait comprendre trois étapes principales, la première a précédé le plan de lONU et les deux autres ont suivi léchec de lONU à faire respecter lesprit de son plan de partition sur le terrain.
Phase I (1880-1947)
Phase II (1947-1993)
Cette phase a vu se poursuivre et sintensifier, mais cette fois par des moyens illégaux, la conquête de la terre et lexpulsion forcée de la population sur la période 1947-1950 dans les zones que lÉtat dIsraël avait déclaré siennes en 1948, et sur la période 1967-1968 en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ainsi que sur le plateau du Golan en Syrie et dans la péninsule du Sinaï en Égypte. Israël a voté des lois pour légitimer la confiscation des terres et empêcher le retour des réfugiés expulsés, et a institué un système de gouvernement démocratique racialiste qui prive les autochtones de légalité et limite leur droit à posséder de la terre et à à résider dans leur propre pays.
Israël a coopté et/ou créé une caste de collaborateurs pour diriger les Palestiniens (les mukhtars dans les zones de 1948, et les ligues villageoises dans les zones de 1967) et sest efforcé de délégitimer les réfugiés survivants en prétendant quils étaient victimes de leur propre erreur de jugement qui les avait fait quitter, de leur propre gré, des maisons dont ils navaient pas du tout été expulsés par les sionistes.
Cette stratégie à multiples facettes a été appliquée avec souplesse et efficacité à lintérieur dIsraël, et dans les territoires occupés en 1967, sauf que, malgré tous leurs efforts, les Israéliens nont pas réussi à installer totalement et durablement un leadership de collaborateurs dans le pays quils occupaient.
Phase III (1993-2018)
Les expulsions massives illégales sont devenues impossibles pendant cette phase, mais les expulsions individuelles légales et surtout les confiscations massives de terres sous couvert de la loi se sont poursuivies sans entrave.
Les occupants ont aussi changé complètement de tactique en ce qui concerne les dirigeants palestiniens. Comme ils narrivaient pas à chasser du pouvoir la direction palestinienne anticoloniale historique, lOrganisation de libération de la Palestine (OLP), pour la remplacer par un gouvernement de collaborateurs, ils ont fait semblant de saccommoder de lOLP pour la corrompre et la transformer en une équipe de collaborateurs et dexécutants du colonialisme sioniste, lAutorité palestinienne (AP).
Israël voulait aussi que la direction palestinienne de collaboration reconnaisse officiellement que le colonialisme sioniste était et est toujours légitime et que lexpulsion des Palestiniens et le vol de leurs terres était et est légitime. Cet objectif a été atteint avec les accords dOslo et les nombreux accords que lAP a signé avec Israël depuis.
Sur la base des stratégies employées au cours de ces trois phases, on peut extrapoler les tactiques qui seront utilisées pendant les 30 prochaines années, pour quIsraël atteigne lâge de 100 ans et rende la Nakba totalement irréversible.
La phase future
La phase future est déjà en cours, il sagit déliminer complètement les deux tiers du peuple palestinien et leur droit à la terre.
Une partie de ce projet a été réalisée au cours de la phase III, notamment en éliminant lOLP qui représentait réellement tous les Palestiniens, et en créant lAP qui ne représente sur le papier que les Palestiniens de Cisjordanie (excepté Jérusalem) et de Gaza.
Israël a déjà relégué la question des réfugiés palestiniens dans des pourparlers sur le statut final qui nont jamais eu lieu, et espère maintenant éliminer formellement leur droit au retour garanti par lONU, et même la question des réfugiés palestiniens elle-même.
Les efforts en cours du gouvernement américain et dIsraël pour détruire lUNRWA, lagence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens, visent à en finir avec la question des réfugiés une fois pour toutes.
Dans la phase future déjà en cours Israël sefforcera aussi déliminer complètement les hypocrites démonstrations de nationalisme de lAP, et de mettre en place une équipe de collaborateurs qui ne feront même plus semblant de défendre les Palestiniens contre la Nakba.
Enfin, dans cette phase, Israël intensifiera ses efforts pour isoler les survivants palestiniens de la Nakba qui dure depuis 140 ans, et les entourer dennemis arabes, qui sont maintenant les meilleurs amis dIsraël ou du moins les ennemis avoués des Palestiniens qui continuent de résister à la Nakba comme les régimes jordanien, égyptien, syrien** et libanais** ainsi que tous les régimes du Golfe (à lexception possible du Koweït).
Pendant que les politiciens et intellectuels arabes et palestiniens libéraux et néolibéraux et les dirigeants arabes non élus entérinent les projets israéliens pour assurer leur propre avenir désormais lié à lavenir dIsraël et à léternisation de la Nakba, ce qui reste du peuple palestinien en Palestine continue à résister et à subvertir la stratégie israélienne.
La résistance palestinienne à la Nakba actuelle et future, que ce soit en Israël, en Cisjordanie (Jérusalem comprise), à Gaza ou en exil, ne faiblit pas, malgré tous les efforts dIsraël pour lécraser.
Comme les contradictions au sein de lEtat colonial et le contexte internationale ne lui permettent plus à de se lancer dans lexpulsion illégale et massive de la population, Israël a présenté au gouvernement de collaboration de lAP un projet dexpulsion légale et volontaire des citoyens palestiniens dIsraël par le biais dun accord final (du type Plan Peel). Toutefois le projet sest avéré plus facile à rédiger quà mettre en pratique.
La période actuelle est une période de transition. En effet un certain nombre dobstacles se dressent maintenant sur le chemin dIsraël pour rendre la Nakba irréversible en sappropriant toute la terre et en expulsant toute la population.
A lintérieur même dIsraël, les citoyens palestiniens israéliens sont vent debout contre la nature Juive et coloniale de lÉtat, et ils exigent labolition de ses nombreuses lois racistes. Léquipe de collaborateurs de lAP, encore au pouvoir en Cisjordanie, est sur le point de perdre son dernier vestige de légitimité avec la disparition prochaine de Mahmoud Abbas.
La résistance, à Gaza, de la population et de laile militaire du Hamas na pas été affaiblie malgré les agressions monstrueuses dIsraël et lassassinat de milliers de personnes depuis 2005, année où Israël a retiré ses colons et déplacé ses forces doccupation de lintérieur de Gaza vers son périmètre, doù elles maintiennent les Gazaouis sous un siège brutal.
Si la Grande Marche du retour des dernières semaines signifie quelque chose, cest bien que la volonté du peuple palestinien demeure inflexible et inébranlable.
Sur le plan international, le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions isole de plus en plus Israël en prenant de lampleur sauf dans les cercles gouvernementaux occidentaux et arabes.
Même si les régimes officiels occidentaux et arabes apportent à lEtat colonial israélien un soutien inconditionnel, ils refusent catégoriquement de le laisser expulser de force les 6,5 millions de Palestiniens vivant sous son régime colonial dans les régions saisies en 1948 et en 1967. Ils lui permettent cependant de continuer à confisquer les terres des Palestiniens et à les opprimer, les assassiner et les emprisonner. Ce faisant, ils soutiennent une moitié des plans de Nakba éternelle dIsraël, mais pas lautre.
Cest le dilemme dIsraël depuis le début.
Quand, après la conquête de 1967, Golda Meir a demandé au Premier ministre Levi Eshkol ce quIsraël ferait dun million de Palestiniens puisquil ne rendrait pas les territoires occupés et quil ne pourrait plus les expulser en masse, il lui a répondu : « Vous voulez la dot, mais pas la mariée. »