Mise au point (2 a)
Par Shmiel Mordche BORREMAN
Mise au point concernant les propos de Youssef HINDI dans « Occident et Islam sources et genèse du sionisme de lEurope médiévale au choc des civilisations » Editions Sigest 2016
Mise au point (1)
Deuxième partie
Selon Y. Hindi, les Juifs, le [1]Judaïsme les Rabbins nont pas attendu le sionisme moderne pour vouloir retourner en Palestine et dominer le monde et dans ce but et dresser les peuples lun contre lautre, de fomenter, provoquer le « choc des civilisations ». Leur instrument de choix serait la קבלה, dont ils se sont servis pour intoxiquer et gagner à leur cause sioniste les protestants anglo-saxons.
Pour étoffer sa thèse, ses idées préconçues, il a recours au כופר בעיקר, Gerhard Scholem 1897 -1982), sioniste basé dès 1926 à Jérusalem, et pour lequel fut établie dès 1933 une chaire de « recherche sur la mystique juive » à lUniversité Hébraïque de Jérusalem. Cette institution était évidemment sans guidance ou contrôle de Rabbins compétents. G. Scholem calomnia dailleurs Rav Samson Raphael HIRSCH ז"ל « cas classique de mystique empêché qui préféra de statuer un symbolisme hautement douteux et quasi brutal de sa propre production, uniquement pour éviter la « remise en rapport » son monde avec celui quil sest interdit à soi-même, le monde de la Kabbale » [2].
Ces propos erronés ont été réfutés par le Rabbin Dr. Elie Munk dans une étude intitulée « Le Rabbin Samson Raphael HIRSCH, rationaliste de la Kabbale » [3]
Selon G. Scholem, la pièce maîtresse de la Kabbale, le Zohar (Livre de la Splendeur ») ne serait pas luvre de notre Maître du Talmud רבי שמעון בר יוחאי, mais un produit de la Kabbale espagnole, de son éditeur, le maître en Kabbale משה בן שם טוב de Leon au treizième siècle. Invention que M. HINDI nhésite pas dexploiter pour présenter la קבלה comme instrument de révolte, dinfraction capitale contre les Serments Talmudiques.
Quelques mots sur la réalité de létude, la קבלה, du Saint Zohar et lapplication de la קבלה dans la pratique du Judaïsme
Une définition acceptable est celle donnée dans la présentation du livre « La Kabbale » par Roland GOETSCHEL, Collection « Que sais je ? » :
« Le terme Kabbale, de lhébreu Qabbalah, est aujourdhui communément utilisé pour définir la mystique juive et les traditions ésotériques du judaïsme. Pourtant, dans le langage talmudique, Qabbalah signifie tout simplement tradition et désigne les textes prophétiques et hagiographiques de la Bible sans aucune connotation mystique ou ésotérique. Encore convient-il de sentendre sur les termes : la Kabbale doit être considérée comme une mystique dans la mesure où elle vise à une saisie du divin au-delà des limites de lexpérience habituelle, et elle est ésotérisme en tant quelle nest transmise quà un petit nombre dinitiés ».
Une érudition au sujet de la Kabbale ne fait pas de quelquun un מקובל !
Létude et loccupation, digne de ce nom, avec la Kabbale présuppose un niveau de « Lernen « (Etude rabbinique) équivalent à 35-40 ans, une grande piété et linitiation par un véritable maître kabbaliste. Ce nest pas sans danger pour léquilibre mental !
Des éléments de קבלה lourianique ont été repris et rendus publics, diffusés parmi les Chassidim des temps modernes, les adeptes du Baal Chem Tov. [4]
Un exemplaire du Zohar et de ses commentaires mystiques orne notre bibliothèque. Nous ne louvrons quasi jamais. Nous lavons chez nous pour raison kabbalistique, qui reste donc secrète, que nous ne dévoilons pas.
Selon M. HINDI la « boîte de Pandore qui ne se fermera plus jamais» (p. 25) aurait été ouverte par Nachmanide qui nous est cher et que nous appelons par son acronyme רמב"ן lors dune dispute publique forcée avec un apostat. Il aurait, fait une « prophétie » selon laquelle « le Messie sur commandement viendra vers le Pape et lui demandera la libération de son peuple »
Notons demblée que M. HINDI ne cache pas sa complaisance envers le renégat Pablo Christiani, soutenu ou envoyé par le dominicain Raymon de Peñaforte et dautres savants chrétiens, comme par la suite envers les faux messies et linquisition.
Ce ne fut dailleurs pas lunique disputatio, mais ce procédé anti-judaïque qui est le propre de la domination catholique, na jamais eu lieu sous domination mauresque.
M. HINDI dans son style dominicain rend le רמב"ן responsable de la démarche entreprise 17 ans plus tard par un visionnaire et faux messie nommé ABOULAFIA. Celui-ci, autoproclamé « messie fils de Joseph », fit une tentative de rencontrer le Pape. A Rome, les autorités comprirent bien lutilité de ce fou dangereux pour semer le trouble parmi les Juifs et le relâchèrent après un bref emprisonnement de deux semaines.
M. HINDI omet de mentionner que les autorités rabbiniques de lépoque, en tête le רשב"א, ont condamné et mis au banc ABOULAFIA [5]
Nous navons pas besoin du כופר (hérétique) G. SCHOLEM. Le compte-rendu de cette disputatio écrit par le רמב"ן est accessible à tout chercheur.
Hindi accuse le רמב"ן, ne fut ce que par lintensification de la prière, de hâter la venue de משיח qui « demandera au Pape de libérer son peuple ». Pour M. HINDI, le cas est encore aggravé par le fait que le רמב"ן expulsé dEspagne sest réfugié en Palestine[6].
Ce reproche de vouloir hâter la venue du Messie revient à la Disputatio de Tortosa 1413-14 en présence de lantipape Bénédicte XIII et toute sa curie. Le débat forcé eu lieu entre lapostat Mestre Géronimo de Santa Fé (précédemment Joshua LORKI) et un groupe de savants Juifs dont Joseph ALBO et Astruc LEVI. Les cléricaux chrétiens étaient non seulement en position de force, les Rabbins se trouvaient dans une position beaucoup plus vulnérable que le רמב"ן à Barcelone. Ils risquèrent à tout moment de se faire accuser de «blasphème » et dêtre arrêtés, et ainsi durent se défendre, sexprimer prudemment. Les cléricaux se promirent beaucoup de cette disputatio dans le but quelle amènera des conversions forcées et baptêmes en masse. Ce que M. HINDI ne mentionne pas.
La disputatio tourna longtemps indécise autour du passage bien connu du Traité Sanhedrin 97b : תיפח עצמן של מחשבי קיצין « Que disparaisse la force de ceux qui calculent la fin des temps messianiques »
Le Docteur Raphael BREUER continue ainsi : « Le Pape en personne posa la question, est-ce que ces propos ne sappliquent-ils pas dès lors au prophète Daniel ? Un des Gedolim rétorqua que Daniel nentre pas dans cette catégorie, car il na rien dit de son propre cru, mais il a vu avec esprit prophétique.
Et lon naura certainement pas laissé le Pape dans le doute, que Daniel a seulement compris de façon imparfaite ce quil a vu. Car lorsquil vit lange qui plana au dessus du fleuve et qui proclama les mains levées vers le ciel sous forme de serment après un temps, suivi de deux temps et dun demi-temps, la fin arriverait. Daniel ne savait pas comment le comprendre. Je lai entendu mais pas compris. Et quand il voulu par sa question entrer dans le secret, il reçu comme réponse : Va Daniel et contentes-toi, ces choses resteront fermées et scellées jusquà lheure où adviendra la fin
Mais sil en est ainsi, que même Daniel ne put pénétrer dans le secret de ce quil a vu, alors il appartient aux entreprises les plus étonnantes de lexégèse biblique de vouloir comprendre ce que Daniel lui-même na pas compris ! Et si toutefois nous trouvons parmi les explicateurs de la vision de Daniel des hommes du rang de סעדיה גאון, רמב"ן, רש"י et מלבי"ם, cela sexplique soit, comme Maimonide sexprime dans son Epître à Tèman au sujet des hypothèses de Saadia, pour préserver le peuple de leffondrement spirituel quentraine, suite aux douleurs indicibles de lExil, déclenchent au sein du peuple exaspéré laspiration fiévreuse de mettre le Messie à proximité immédiate. Soit comme אברבנאל, dans son « מעיני הישועה » parce que le devoir des exégètes est dau moins faire la tentative déclairer les paroles bibliques avec une faible lueur.
Même si au sujet de la fin des temps, jamais rien ne sera établi avec certitude, lidée de la fin des temps, et donc aussi la personnification de cette idée, le Messie, ne cesseront jamais doccuper la pensée et les sentiments Juifs. Toutefois le משיח sest toujours contenté et devra toujours se contenter, de ne pas dominer lâme populaire juive dun endroit central, mais par contre toujours dattendre derrière les coulisses de la scène mondiale le mot dordre qui lappellera au centre des évènements mondiaux.
Jusqualors nous devrons toujours prendre à cur lexhortation que Maimonide a prononcée au chap. 12 Hilchoss Melochim :
ולא יאריך במדרשות האמורים בענינים אלו וכיוצא בהן ולא ישמם עיקר שאין מביאין לא לידי יראה ולא לידי אהבה
הלכות מלכים פרק י"ב
Que lon napprofondisse pas ces sujets avec une telle ferveur qui correspond à lattrait avec lequel le Messie agit sur la fantaisie du chercheur. Ne faisons pas de ces choses lessentiel, car elles ne mènent ni à la crainte de Dieu, ni à plus damour de Dieu. »
Comme dans son ensemble, cette exhortation de Maimonide a toujours été respectée, ceci explique suffisamment le fait, largement reproché, que la doctrine du Messie ne peut jamais développer lénergie créatrice que lon veut insuffler de nos jours au sein du Peuple Juif.
Car cela va quand même de soi quil est impossible que des choses sur lesquelles on ne doit pas trop réfléchir, deviennent la force motrice et devraient avoir une place centrale et stimuler une activité politique. La particularité du Messie Juif explique la passivité politique du Peuple Juif, explique le calme incroyable, lindifférence apparente avec laquelle depuis bientôt deux millénaires ישראל suit le destin politique de son pays ancestral, explique en un mot le fait que pendant les longs siècles depuis la chute de lEtat Juif, il ny pas eu quelque chose comme un irrédentisme Juif.
ומי כעמך ישראל גוי אחד בארץ
La Terre sainte est quand même quelque chose de plus quun territoire que lon peut perdre et un beau jour regagner sur base dun chiffon de papier diplomatique, ce nest pas si simple que ça.
Lorsque les Français perdirent en 1870 lAlsace et la Lorraine, ils émirent le mot dordre : Ne jamais en parler, toujours y penser. Lorsque nous, il y a presque 2000 ans perdîmes ארץ ישראל, nous avons émis le mot dordre inverse : toujours parler de משיח, toujours, aussi souvent que nous retrouvons pour la prière envers HaShem, parler de משיח, mentionner la גאולה, désirer la גאולה, mais ne jamais trop y réfléchir !
משיח אינו בא רק בהיסח הדעת
Sanhedrin 97 a : משיח vient lorsque personne ne pense à Lui. - [7]
[2] Gerhard Scholem in : «Bayerische Israelitische Gemeindezeitung » du 1.juin 1932 article consacré à louvrage de Franz Rosenzweig Etoile de la délivrance dans lequel soumet l « idéologie orthodoxe » à sa critique
[3] Revue rabbinique mensuelle « Nachalass Zwi » éditée par la « Rabbiner-Hirsch-Gesellschaft » Francfort-sur-le Main 3ème année 5693 :1933 pp ; 84-92
[4] « Les Hassidim » Edouard Robberechts Collection Fils dAbraham, Brepols 1990
[5] « After being arrested and imprisoned for two weeks in Rome, Abulafia left for Sicily, where he spends most of the decade in Messina, teaching several students. He had also students in Palermo. Between 1279 and 1291 he composed most of his writings, in which he intensified his messianic propaganda and claimed that he was both a prophet and a messiah. As a result of such claims he was criticized by the foremost legalistic authority of Sephardic Jewry of the time, Rabbi Shlomo ben Abraham ibn Aderet; after a fierce controversy between the two men, Abulafia was banned of Spanish schools, leading to a rejection of his teachings in the Iberian peninsula. He wrote his last dated book in 1291; we dont know when and where he died. He wrote several dozen books, most of which survived in manuscript form and have been printed for the first time only since 2000.
Kabbalah A Neurocognitive Approach to Mystical Experiences Appendix B Abraham Abulafia the Mystic and his Theory and Technique. (p. 141) Shahar Arzy and Moshe Idel Yale University Press New Haven and London 2015
[6] Sous domination ottomane
[7] Messianische zeiten (Temps Messianiques) du Rabbin Raphael BREUER p. 114 et suivantes. Revue rabbinique mensuelle « Nachalass Zwi » éditée par la « Rabbiner-Hirsch-Gesellschaft » Francfort-sur-le Main 3ème année 5693 :1933 traduit par nos soins.
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