Yakov Rabkin:
«Le rejet du projet sioniste par les juifs nest pas que de lhistoire»
17 mai 2016
Yakov Rabkin, spécialiste de lhistoire du sionisme, se montre très critique envers cette idéologie. Entretien.
Yakov Rabkin, professeur au Département dhistoire à lUniversité de Montréal, est né en 1945 en Russie. Chimiste, juif religieux, historien, il est, entre autres, lauteur de Au nom de la Torah : Une histoire de lopposition juive au sionisme et Comprendre létat dIsraël : Idéologie, religion et société. Le premier est aujourdhui traduit dans une douzaine de langues et a, bien sûr, déclenché de vives polémiques. Militant, il participe aussi à des activités de rapprochement interreligieux entre juifs et musulmans. LAssociation Solidarité Maroc Palestine la invité à Rabat et Casablanca (il sera le mercredi 18 mai à 18 h à la Bibliothèque nationale de Royaume du Maroc et le lendemain à la librairie Livremoi). En amont, TelQuel a posé quelques questions à ce connaisseur, très critique, de lhistoire du sionisme, dIsraël et de leur opposition.
Quel est le rapport historique des juifs du Maroc au sionisme ?
Les juifs dorigine marocaine et leurs descendants font partie dun ensemble plus large des juifs non-européens. Et il faut rappeler que lactivisme sioniste était pourtant plutôt négligeable dans les pays musulmans. En août 1939, les juifs des pays à majorité musulmane fournissaient 0,38 % des membres enregistrés du mouvement sioniste, comparé à 40,9 % pour ceux venant de lEurope de lEst. Au Maroc, les premiers sionistes qui propagent la nouvelle doctrine chez les indigènes sont, comme presque partout ailleurs, dorigine russe. Cela illustre le caractère est-européen du sionisme, qui constitue un sérieux obstacle à lintégration des juifs arabes en Israël. On remarque que le départ des juifs marocains vers Israël na presque jamais reflété un réel engagement idéologique pour le sionisme, ni pour cet État construit par et pour les ressortissants dEurope de lEst. Rappelons que le plan de partage de la Palestine formulé par la Commission Peel en 1937 provoque une réaction négative au Maroc, où des notables juifs et des musulmans écrivent une lettre de protestation au Foreign Office à Londres.
La droite dure israélienne semble se tourner aujourdhui vers le religieux. Pourquoi ?
La droite doit justifier son désir de coloniser la Palestine en entier. Puisque les fondateurs de lÉtat étaient ouvertement athées ou agnostiques, leur prétention doccuper la Palestine se résumait en une absurdité quun collègue israélien a ainsi décrite, de manière sarcastique : « Dieu nexiste pas, et il nous a promis cette terre ». La droite actuelle, elle, a découvert la valeur mobilisatrice de la religion, surtout dans sa forme hybride de national-judaïsme, appelée «dati leumi» en hébreu. Aujourdhui, certains Marocains dailleurs se sont ralliés au parti ultrareligieux Shass, fondé afin dinculquer la fierté dêtre juif «oriental» et de retourner à la pratique traditionnelle du judaïsme.
Quel est lécho de lopposition juive religieuse au sionisme aujourdhui ?
Il est révélateur que léditeur israélien a donné à la version hébraïque de mon livre sur lopposition juive au sionisme le sous-titre «Une histoire de lutte continue». En effet, à la veille de sa présentation en Israël des centaines de milliers de «haredim» (juifs ultra-orthodoxes) protestaient à Jérusalem contre le service militaire obligatoire. Le rejet du projet sioniste par les juifs nest pas que de lhistoire. Beaucoup de jeunes juifs, surtout aux États-Unis, sopposent non seulement à la violence de lÉtat sioniste mais au principe même dun État réservé aux juifs du monde, qui est lidée fondatrice du sionisme.
http://telquel.ma/2016/05/17/yakov-rakbin-le-rejet-du-projet-sioniste-par-les-juifs-nest-pas-que-de-lhistoire_1497619
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