Rabbin ERNEST WEILL
(1865-1947)
INTRODUCTION A SON « CHOULHANE ÂROUKH ABRÉGÉ » (1947)
On entend souvent dire : Quelle subtile casuistique que le Choulhâne Aroukh ! Quelle prétention, de vouloir encercler tous les éléments de la vie religieuse, morale, sociale, politique avec cette réglementation minutieuse qui ne semble laisser aucune liberté à la conscience individuelle !
En effet, loin de se cantonner dans le domaine strictement religieux et moral, le Judaïsme embrasse et domine la vie entière, il soumet à sa Loi toutes les manifestations de lactivité humaine, ladoration de Dieu, la célébration du sabbat et des fêtes, les rapports des hommes entre eux, les égards envers les animaux et la nature en général, la conduite morale, le mariage et le divorce, les droits et les devoirs des conjoints, les transactions commerciales, la vente et lachat dimmeubles et de mobiliers, les contrats et les hypothèques, lorganisation des tribunaux, les obligations des juges et des témoins, la réglementation de la procédure, les modalités du serment ; le Judaïsme, en effet, est plus grand quune religion proprement dite, sa Tôrâh, qui est à la fois Loi et Doctrine, représente tout un code civil et pénal, régi par les principes dune morale élevée, constituant une vie nationale dont Dieu est la base, le centre et le sommet, une véritable théocratie.
Elle se suffit à elle seule et procure à ses adeptes les bienfaits dune haute civilisation. Parqués dans les ghettos, exclus de la société, les Juifs, pendant tout le moyen âge, ont trouvé dans cette « Tôrâh de vie » la solution de tous les problèmes et de tous les litiges, une réglementation répondant à tous les besoins individuels et collectifs, assurant en même temps la pureté des murs, faisant naître chaleureux et généreux sentiments de solidarité et stimulant à un haut degré les facultés intellectuelles.
La Tôrâh est de Dieu (תורה מן השמים), révélée par Dieu. Expression de la volonté divine, ses lois simposent toutes sans exception au respect et rencontrent sans contrainte une obéissance fidèle et exacte. De ce point de vue, sanctifier le sabbat est un devoir aussi strict que dassister les pauvres et darracher son prochain à loppresseur ; instituer pour sa table le régime alimentaire prescrit par la Tôrâh est aussi bien un devoir commandé par Dieu que leffort du juge pour rendre une sentence équitable, à la suite des exposés contradictoires des parties.
Toutes ces lois ont un caractère sacré et sont destinées à sanctifier la personnalité humaine. Cest par elles que nous est trâcée la voie qui mène vers lidéal sublime qui consiste à nous modeler sur la sainteté de Dieu. « Soyez saints, car moi je suis saint ».
Aucun temps, aucune activité na le privilège exclusif de la sainteté, toute la vie dans son mouvement limité et perpétuel jusque dans ses ramifications les plus lointaines est soumise à ce devoir de sanctification, toujours et partout renouvelé par lobservance de ces prescriptions.
Sans doute, le but de la vie est lexercice de la justice et de la bonté, qui forment lessence même des attributs de Dieu, mais pour poursuivre cet idéal et préparer son épanouissement dans la sphère israélite dabord, peu à peu dans lHumanité entière, la Tôrâh, par ses lois, nous astreint à une discipline continuelle qui nous permet de triompher de nos passions et de refouler notre égoïsme jusquà ce que lexercice de la justice et de la bonté devienne une habitude, une disposition naturelle.
De ce point de vue, afin de rester aussi fidèle que possible à lordre divin, il importe de connaître exactement la manière dont ces devoirs doivent être accomplis. Ces indications minutieusement détaillées, nous les trouvons dans les quatre parties du Choulhâne Aroukh.
La loi divine, contenue dans le Pentateuque, Loi écrite ( תורה שבכתב), trouve son complément dans la Loi orale (תורה שבעל פה). Celle-ci enseigne la manière de pratiquer les lois du Pentateuque ainsi que les principes et idées qui y président. Elle est de la même origine divine que la Loi écrite, qui sans elle resterait bien souvent livre scellé.
En promulguant la loi fondamentale du repos sabbatique p.ex., le Législateur, sans spécifier, se contente de dire : « Tu ne feras aucun travail ce jour-là ». Il nest cependant pas admissible quIsraël nait pas obtenu sur le champ des explications complémentaires quant au mode de lapplication de cette loi. Dailleurs quelques-uns des travaux interdits le jour du sabbat sont explicitement nommés dans le Pentateuque. (Voir Exode, 16,23 ; 34,21 ; 35,3 ; Nombres 15,32).
En disant (Deut., 12,21) : « Tu sacrifieras (les animaux réservés à ton usage personnel) ainsi que je te lai ordonné », sans que nulle part dans le Pentateuque le procédé à suivre pour lexcercice de la Chehitâh ne soit énoncé, le Pentateuque lui-même, par les mots « ainsi que je te lai ordonné » se réfère à la Loi orale quil présuppose.
En frappant de la peine de mort le viol dune femme mariée (ארוסה) mais non encore épousée (נשואה) le Législateur devait avoir déterminé les formalités nécessaires à la conclusion du mariage, formalités que nous ne connaissons toutefois que grâce à la Loi orale.
En ordonnant (Lévitique, 23,40) : « Vous prendrez le premier jour (de la fête des Tabernacles) le fruit dun bel arbre » sans désigner plus exactement larbre dont il sagit, en ordonnant (Deut. 6,8) : Tu les lieras (les paroles de Dieu) comme signe sur ton bras, ou : Tu les inscriras (ces paroles) sur les poteaux de ta maison(idem 9), sans sexpliquer sur la manière dont ses paroles seront liées ou inscrites, le Pentateuque sous-entend un enseignement complémentaire qui laccompagne : la Loi orale.
Pendant vingt siècles la Loi orale a été transmise de maîtres à disciples. Chaque maître, chaque disciple devait la posséder absolument par cur. Quelques abrégés en étaient peut-être conservés comme aides-mémoire dans les archives, mais toute note écrite était rigoureusement bannie de lenseignement des écoles et de leurs débats. Tous les textes ainsi que leurs explications étaient confiés à la mémoire. Pour apprendre textuellement par cur et conserver sans défaillance dans son cerveau cette masse de connaissances, des capacités supérieures étaient nécessaires. Il fallait aussi que les études préparatoires, lenseignement, les discussions se déroulassent dans un calme extérieur absolu. Dès que les guerres survinrent et, se prolongeant, troublèrent le repos et la sécurité indispensables aux études, afin de sauvegarder la Tradition, ont se vit obligé de mettre par écrit la Loi orale, dabord la Michenâh (IIe siècle), puis la Guemârâh (Ve siècle), le tout appelé Talmud.
Le Talmud ne contient pas seulement la Loi orale proprement dite, mais toutes les ordonnances de nos Sages avec les discussions quelles comportent, et dont les résumés et les résultats nous sont transmis dans un style très concis, mais parfois obscur.
Le Talmud est le produit du travail intellectuel des esprits les plus élevés qui, durant six siècles, ont employé toute leur âme et leur profonde intelligence à la solution de tous les problèmes de la vie. Quon se figure un résumé aussi succint que possible des débats les plus importants pendant six cent ans se seraient déroulés dans un parlement, et on aurait une idée approximative de ce quest le Talmud.
Bientôt, par suite du développement de la dispersion et des difficultés grandissantes de la vie, les loisirs nécessaires à létude se firent plus rares, la mémoire faiblit, lignorance de la Loi menaça de gagner la masse du peuple.
Les chefs spirituels, pour conjurer ce danger, rédigèrent des condifications des lois talmudiques, ordonnées selon les matières, les autres des abrégés du Talmud lui-même, afin de faciliter au grand nombre des fidèles létude et la connaissance de la Loi.
Le recueil le plus important de ce dernier genre est le Talmud abrégé de R. Isaac Alphassi (1013-1103). Se basant sur son uvre, son disciple indirect R. Moïse ben Maïmon (Maïmonide) (1135-1204), codifia toutes les lois talmudiques dans so ouvrage génial, admirablement ordonné, Yâd Hazâqâh (environ 1300).
Dans cette voie suivirent R. Jacob ben Achère, lauteur des quatre Tourim (mort vers 1340), et enfin R. Joseph Ephraïm Caro (1488-1575). Retiré à Safed en Palestine, celui-ci composa une synthèse des décisions de Maïmonide et des Tourim. Il fit un résumé magistral de tous ces travaux et lappela Choulhâne Aroukh = « Table dressée » (la première édition est de 1565). Cest le Choulhâne Aroukh, rédigé par R. Joseph Caro et annoné par R. Moïse Isserles, rabbin à Cracovie (mort en 1572), qui représente la Loi talmudique codifiée.
Toutefois la Loi nest pas pétrifiée dans le Choulhâne Aroukh. La vie, en perpétuel mouvement, suscite sans cesse de nouveaux problèmes qui sont à résoudre suivant les principes traditionnels. La Loi comme la vie se renouvelle toujours.
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Nous avons cru utile de publier un Abrégé en langue française des quatre parties du Choulhâne Aroukh. Guidé par des considérations pratiques, nous navons recueilli dans notre ouvrage que ce qui relève de la vie courante. Nous avons cru devoit ajouter quelques explications théoriques et lexposé de quelques idées dont il est possible que la Loi se soit inspirée, afin de mieux la comprendre et, par conséquent, la faire accomplir avec plus de zéle et plus de joie.
N.B. : Nous comptons apporter la suite de cette Introduction à une date ultérieure. Aux amis lecteurs qui désirent acquérir cet ouvrage : la réédition (5ème) de 1980 est conforme à lédition originale. Nous ne pouvons rien garantir pour les éditions ultérieures. Editeur Fondation SEFER, Paris. A trouver ou commander dans les librairies spécialisées en Judaïca.
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